«J’ai décidé, malgré l’interdiction de mon père, de rompre le silence. » Comment vivre en paix après avoir trahi une promesse faite à son père à l’âge de 13 ans, dans un récit intitulé… La Promesse ? Cela prend du temps, c’est un long cheminement, intime et bouleversant. Marie de Lattre a mis vingt ans pour l’écrire, le raconter, « la peur au ventre, mais j’y suis arrivée. J’avais peur de trahir, de transgresser », confie-t-elle dans les dernières lignes de l’adaptation graphique de son roman avec la collaboration du metteur en scène belge Nicolas Buysse et les dessins caressants de l’illustratrice allemande Julia Freund.
Pourtant, au commencement, Marie de Lattre, directrice artistique dans l’édition, n’imaginait pas partager son histoire, celle d’un secret dans lequel son père n’avait pas pu faire autrement, pour survivre, que de s’enfermer, et que sa fille a mis vingt ans à révéler pour ainsi ancrer ses propres filles dans leurs origines et les libérer d’un non-dit mortifère.
Les ravages des non-dits
La Promesse révèle le récit d’une famille, parmi d’autres, percutée par la guerre et qui en perpétue les souffrances invisibles, et que l’on cherche à enfouir en pensant les contenir mais qui envahissent tous les recoins de l’âme. Le père de Marie de Lattre a vécu ainsi presque toute sa vie avec cette indicible douleur. Celle d’un petit garçon de 8 ans, caché de famille en famille à Paris, en 1942, après que ses parents, un couple de juifs d’Europe de l’Est émigrés en France après avoir fui la révolution russe et la montée de l’antisémitisme en Allemagne, ont été déportés à Auschwitz. Ils n’en reviendront pas.
Se sachant condamnés, ils firent promettre, chacun de leur côté, en secret, lui à son amante, elle à son amant, d’élever leur petit Jacques et de lui permettre de vivre. De cette promesse le petit Jacques ne devait pas parler, question de vie, de survie, un secret qui deviendrait mortel s’il était révélé. Un enfant de 8 ans qui a perdu ses parents et qui en retrouve d’autres est obsédé par l’angoisse de les perdre à nouveau. Jacques s’est donc tu, pour tenir sa promesse. Jusqu’à ce que son épouse, à laquelle il avait, par bribes, révélé que ceux qui l’avaient élevé n’étaient pas ses vrais parents, lui fasse promettre à son tour d’en parler à ses enfants. « Ils finiront par le découvrir. » N’est-il pas moins douloureux de l’apprendre de son père que de chercher à comprendre, de surcroît, pourquoi il n’a rien dit ?
Un cheminement et un travail de mémoire
Jacques finira par partager son secret avec Marie et Thomas, ses deux enfants, mais de façon lapidaire. « Mes parents ne sont pas mes vrais parents. Mon père et ma mère ont été assassinés à Auschwitz, ils étaient juifs. Ils s’appelaient Ismak et Frieda. C’est un secret, notre secret, personne ne doit le connaître. » Fin de l’histoire. Marie de Lattre attendra la mort de son père pour briser la promesse de taire ce secret. Sa mère lui donne une enveloppe en papier kraft contenant de vieilles lettres d’Ismak et Frieda écrites à Drancy à Madeleine et Pierre, leurs amoureux, qui ne se connaissaient pas encore. De précieux parchemins, à moitié effacés, pour démarrer une enquête, ou plutôt une quête de ses origines.
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Marie mettra vingt ans à retracer la vie de ces grands-parents qui, sans son travail, seraient restés dans l’oubli. « Je ne comprenais pas ce qu’ils décrivaient dans leurs écrits qui racontaient leur quotidien à Drancy, j’ai dû faire appel à un historien qui m’a aidée à reconstituer leur parcours. Puis, j’ai essayé de retrouver ceux qu’ils avaient connus à Drancy, pour entrer en contact avec leurs familles. » Marie de Lattre s’aperçoit qu’elle n’est pas seule à avoir entrepris ce travail de mémoire. « Je me suis rendu compte que beaucoup de petits-enfants étaient confrontés à ces secrets emportés par la guerre, la Shoah, et que nous étions la première génération à être en mesure de les exhumer pour rétablir la vérité. »
Allégorie de la mémoire
Un cheminement qui permet à la jeune femme d’approcher la douleur de son père, resté ce petit enfant de 8 ans qui a dressé des murs autour de son histoire de peur que le cauchemar ne se reproduise, ne se transmette, alors même qu’il ne risquait plus rien et que les murs protecteurs entravaient désormais l’existence de sa descendance. La Promesse est une allégorie de la mémoire sans laquelle l’humanité ne peut s’épanouir.
Le récit porté par ce roman graphique, mêlant dessins naïfs quasi enfantins, photos d’archives, déploie les destins à tiroirs de personnages évoluant dans une existence dans laquelle chacun se construit dans une vérité partielle, incomplète. De bribes éparses, cachées dans la pénombre, le roman chemine vers un tableau final d’où jaillit la lumière, la douceur et l’harmonie d’une famille réunie. Jusqu’à la dernière image de Marie de Lattre sur la côte de Port-Blanc où elle passait ses vacances avec ses parents, saluant un homme naviguant vers le large sur un petit esquif. « Bon vent, papa ! » lance-t-elle apaisée, réconciliée, avec ce petit garçon de 8 ans enfin libéré de son cauchemar.
La Promesse, Marie de Lattre Presses de la Cité, 240 pages, 20 euros
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