Ne vous fiez pas à son calme et sa force tranquille, depuis son départ du Bristol, Éric Frechon n’a pas calmé son esprit bouillonnant et vole de producteurs en restaurants, de conseils en élaboration de cartes : « Je m’amuse à me remettre en question, à apprendre, à transmettre… » La joie d’Éric Frechon n’est pas feinte : « Je fais l’un des plus beaux métiers du monde, qui permet de bien manger, de voyager, de faire des expériences humaines incroyables… » L’émerveillement est intact quand il parle de sa dernière escapade à Shanghai, entre cantines inconnues et institutions étoilées et ses yeux levantins s’allument lorsqu’il raconte les pâtes à la truffe blanche d’un restaurant perdu dans le Piémont : « Que c’était bon ! J’ai demandé le secret, je voulais comprendre : le goût incroyable ne venait pas de la truffe mais du beurre de montagne, fait dans des pâtures très fleuries. » Peut-être que la personnalité et la cuisine d’Éric Frechon tiennent dans cette anecdote : curieux, éternellement réjoui, à l’écoute des autres, des sens et des terroirs.
Sa curiosité l’inspire. Étalées sur la table de son laboratoire, des assiettes de toutes les tailles et formes nous le confirment : des idées, il en a plein le cellier. Il les dévoilera dans ses onze restaurants et ses projets à venir… Les ingrédients de ce succès sont « la rigueur, la constance »… et les bons produits : il faut entendre ce petit-fils de vigneron et d’agriculteur parler des poulets de ferme qui cuisent à l’étouffée dans leur peau épaisse.
C’est en cuisinant qu’on reste cuisinier, alors, dans cette cuisine cachée au rez-de-chaussée d’une rue déserte, Éric Frechon crée : « Je ne m’endors jamais sur ma cuisine mais je ne change jamais pour moins bien. » Et qui définit le mieux ? « C’est moi. Je goûte l’ancien et le nouveau, tout simplement. Ce qui m’intéresse, c’est d’agrandir mon panel de cuisine. La française, je la maîtrise plutôt pas mal. Donc, je vais chercher des terrains de jeu à l’étranger. » La cuisine, un terrain de jeu, tout est là. Et ne prenez pas ça pour de l’orgueil, Éric Frechon est un mythe à plus d’un titre : après quinze ans de trois étoiles mais aussi le titre de meilleur restaurant du monde trois ans de suite, il quitte le Bristol au sommet de sa gloire en 2024.
Incompréhensible pour certains, mais le chef voulait assumer être aussi chef de famille et d’entreprise. C’est Arnaud Faye qui a eu la lourde tâche de lui succéder, avec succès puisqu’il a conservé ses trois étoiles à Épicure, la table gastronomique du Bristol, une nouvelle qui réjouit Éric Frechon : « Je le félicite et je suis très heureux : vingt-cinq ans de travail perdurent avec lui. »
Les précieuses étoiles du guide rouge, parlons-en. Le chef, loin de les décrier comme certains chefs, reconnaît leur pertinence… et rappelle leur indépendance : « Les étoiles n’appartiennent ni au chef ni à la maison, mais au Michelin. » Deux exemples ont prouvé cette évidence lors de la remise 2025 lundi dernier : Christopher Coutanceau, qui avait perdu son troisième macaron il y a deux ans, l’a retrouvé ; de même, Hugo Roellinger, dont le père avait préféré ne plus frayer avec les inspecteurs, a été chaleureusement applaudi en recevant lui aussi sa troisième étoile. De belles histoires d’abnégation que cite Éric Frechon, une sagesse qui tranche avec le ton glacial qu’on entend dans certaines chambres froides.
La suite après cette publicité
La pomme de la discorde tient en deux mots : Top Chef. Le partenariat entre le guide Michelin et l’émission a fait jaser. Mais le chef, qui rejoint cette saison la brigade cachée, tient bon : « Je l’ai vécu de l’intérieur cette année donc je peux en parler : c’est dur d’être candidat de Top Chef. Il faut être créatif, technique, endurant. J’ai été le premier impressionné par les candidats, pleinement légitimes pour être scrutés par les inspecteurs. » D’ailleurs, candidats et finalistes n’ont pas attendu le partenariat pour décrocher des étoiles. Le coup est donc double pour le guide, qui se dépoussière et redevient pour la jeune gastronomie un Graal : « Le talent n’a pas d’âge », résume Éric Frechon.
Et si, service du soir oblige, il n’avait pas le temps de suivre l’émission auparavant, le nouveau limier toqué de M6 confesse, espiègle, qu’il s’est vite senti à l’aise : « Même en tant que juré on se prend au jeu ! » Aux âmes bien nées, la jeunesse attendra le nombre des années.
Source : Lire Plus





