L’État a raté sa cible. En 2023, les recettes fiscales nettes se sont élevées à 322,9 milliards d’euros, soit 7,7 milliards de moins que prévu. En 2024, la facture est encore plus salée : 22,8 milliards d’euros de recettes manquantes par rapport aux estimations initiales. Et pour 2025, Charles de Courson, député Liot et rapporteur général du budget, redoute de nouveaux dérapages si aucune réforme des outils de prévision n’est engagée.
Le rapport pointe un défaut structurel : les modèles macroéconomiques utilisés par Bercy ne tiennent pas compte de l’évolution durable du comportement des ménages. Alors que le gouvernement anticipait un rebond de la consommation, le taux d’épargne a grimpé à 18,2 %, réduisant mécaniquement les rentrées de TVA et d’impôt sur le revenu.
Autre erreur d’appréciation : la croissance du PIB a bien eu lieu, mais elle a été portée par le commerce extérieur, et non par la demande intérieure comme prévu. Résultat : des prélèvements mal calibrés et des prévisions faussées.
IR, IS, TVA : des impôts largement surestimés
L’État a surestimé les recettes de l’impôt sur le revenu de 2,1 milliards d’euros en 2023, et de 6 milliards en 2024. En cause : une mauvaise anticipation de la masse salariale et des revenus des indépendants.
Impôt sur les sociétés (IS) : un manque à gagner de 14,5 milliards
L’outil de prévision repose sur l’excédent brut d’exploitation (EBE), un indicateur jugé « déconnecté du réel ». Certaines entreprises, comme EDF ou CMA CGM, ont affiché d’importants bénéfices… mais peu ou pas d’impôts, grâce à des dispositifs fiscaux (reports déficitaires, taxe au tonnage). Résultat : l’impôt sur les sociétés affiche un déficit de 14,5 milliards d’euros en 2024.
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TVA : un modèle aveugle
Longtemps considérée comme fiable, la TVA a elle aussi été surestimée de 7,3 milliards d’euros en 2023. Le modèle « Opale » utilisé par Bercy n’intègre ni les remontées de terrain, ni l’évolution du comportement d’épargne, ni les effets des remboursements anticipés.
Le rapport pointe également des erreurs dans les prévisions des finances locales : sous-estimation des recettes de taxe foncière, mauvaise anticipation des droits de mutation. Même constat pour la Sécurité sociale, dont les recettes ont été surestimées de plus de 1 % en 2023 et 2024.
Quatre leviers pour sortir de l’ornière
Pour rompre avec les illusions budgétaires, Charles de Courson propose un plan en 14 mesures. Parmi les plus structurantes :
- Associer le Haut Conseil des finances publiques aux prévisions macroéconomiques, avec un droit d’alerte ;
- Ouvrir les modèles de prévision à des chercheurs indépendants ;
- Supprimer l’EBE comme indicateur principal pour estimer l’IS ;
- S’appuyer sur les données de l’Urssaf en temps réel pour affiner les projections de masse salariale ;Impliquer davantage les acteurs économiques de terrain : grande distribution, notaires, collectivités locales ;
- Exiger des grandes entreprises qu’elles transmettent trimestriellement leurs résultats nationaux.
Tabac : des prévisions qui partent en fumée
Les recettes fiscales liées au tabac ont elles aussi été surévaluées. Malgré les hausses de prix, les volumes vendus ont chuté plus fortement que prévu, en raison d’un changement de comportement des consommateurs. Le rapport souligne une méconnaissance des effets de report vers des circuits parallèles ou vers le vapotage, qui échappent en partie à la fiscalité classique. Une nouvelle fois, le modèle utilisé se révèle incapable d’intégrer les réactions comportementales aux politiques fiscales.
Une alerte pour la crédibilité budgétaire du pays
« Le pilotage à vue n’est plus tenable », insiste Charles de Courson. En dénonçant des failles méthodologiques profondes, il lance une alerte stratégique : sans refonte des outils de prévision, la trajectoire budgétaire de l’État restera floue, voire intenable. Et avec elle, la confiance dans la parole financière de la France.
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