Il n’aura fallu qu’une vingtaine d’années au kebab, sandwich de viande halal d’origine turque, pour conquérir la France. De la mégalopole parisienne au village rural de Vendée, chaque agglomération ou presque compte aujourd’hui un ou plusieurs kebabs, nom du commerce qui vend les sandwichs éponymes. La prolifération de ce mets étranger a récemment provoqué la lassitude du maire de Clermont, Lionel Ollivier, qui confiait, dépité, sur la radio RMC : « J’ai 5 barber shops pour 10 000 habitants et 5 kebabs… Je n’ai pas la main. Il faut des magasins divers et variés ».
Autrefois méconnu, le kebab, aussi appelé gyros ou donër, est aujourd’hui aussi célèbre que la pizza italienne ou le sushi japonais. Chaque seconde, 11 kebabs sont consommés dans l’Hexagone. Plus de 11 000 kebabs sont installés sur le sol français, soit 9 000 de plus que le nombre de restaurants McDonald’s.
Trop de concurrence
« Quand je me suis installé à Paris en 1995, j’étais l’un des seuls kebabs de la ville. Aujourd’hui, il y en a partout… » Assis derrière son comptoir, Ali secoue la tête, fatigué. Le gérant d’un petit kebab du 9e arrondissement parisien a vu, au fil des ans, fleurir des dizaines de ces commerces halal dans la capitale. « À gauche, il y a un kebab turc, à droite, un Quick (fast-food halal) a ouvert en décembre dernier. Il y a trop de concurrence, ça commence à être dur… », soupire le quinquagénaire. Interrogé sur le nombre de clients qui achètent ses sandwichs quotidiennement, le Franco-Algérien reste évasif : « plusieurs dizaines au moins ».
« Quand je me suis installé à Paris en 1995, j’étais l’un des seuls kebabs de la ville »
Quelques mètres plus loin, un autre kebab se prépare à ouvrir ses portes. Sous le soleil printanier, ses propriétaires, d’origine turque, installent des chaises sur le trottoir. « On a de plus en plus de monde, beaucoup de jeunes. Cela fait deux ans qu’on s’est installé ici, on fait tout maison. Tout marche très bien, surtout la nuit. C’est un marché en pleine croissance ! », lâche, sourire aux lèvres et gants noirs aux mains, l’un des deux commerçants.
Viande halal et origine turque
Le kebab, mot arabe qui signifie « grillade » en français, est composé d’un pain, fourré avec de la viande halal, ainsi que des légumes et des sauces. « Le kebab est le fruit d’une série d’étapes, étalées historiquement. L’origine la plus profonde vient d’Asie mineure, où les guerriers utilisaient cette méthode de cuisson pour griller la viande », explique Benjamin Baudis, l’un des seuls spécialistes français sur le sujet, auteur de l’ouvrage Kebab : question dôner.
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Aujourd’hui, il est rare, si ce n’est impossible, de trouver une ville de l’hexagone qui ne possède pas son commerce de grillades halal
Débarqué en Europe dans les années 1970, il faudra attendre les années 1990 pour voir le sandwich turc faire ses premières apparitions sur le sol français. « C’était beaucoup de restaurants ethniques, issus des communautés d’immigrés », précise Benjamin Baudis. Aujourd’hui, il est difficile de trouver une ville de l’Hexagone qui ne possède pas son commerce de grillades halal, parfois en lieu et place de l’ancien restaurant local. Le kebab a commencé par s’emparer des grandes métropoles, porté par les vagues d’immigration en provenance du Maghreb.
Kebab des villes et kebab des champs
À Lyon, capitale des Gaules, l’on recense plus de 100 de ces commerces halal. Mais les commerçants de kebabs ne se sont pas restreints aux villes. Le sandwich turc a commencé à coloniser les campagnes, s’implantant parfois dans des villages de seulement quelques milliers d’habitants. Située au cœur du département rural de Saône-et-Loire, la commune d’Autun compte sept kebabs pour seulement 13 000 habitants. Le village de Vittefleur (Seine-Maritime) et ses 650 habitants a vu son premier kebab ouvrir en 2022. Symbole de ce marché en pleine expansion, l’on peut désormais suivre des cours de maître-kébabier à Saint-Lô dans la Manche, où a récemment ouvert la « Kebab Academy ».
En 2024, 350 millions de kebabs ont été consommés en France. Un chiffre impressionnant, en augmentation de près de 30 % par rapport à 2008. Le kebab est aujourd’hui le 3e plat le plus commandé sur les plateformes, détrônant le sushi et talonnant la pizza et le burger, d’après une étude CHD-Expert.
Les faveurs de la jeunesse
Tournant le dos au traditionnel Jambon beurre de leurs grands-parents, les nouvelles générations plébiscitent le sandwich oriental. En 2019, 78 % des 18-24 ans fréquentent les populaires kebabs. Un chiffre qui chute à mesure que l’âge augmente. Seulement 40 % des 45-60 ans se rendent dans des kebabs, une proportion qui dégringole à 17 % chez les personnes de plus de 60 ans.
Au total, 46 % des Français consomment des kebabs, de manière fréquente ou occasionnelle. Pour 24 % de la population, le kebab est même le fast-food de préférence, devant la pizza et le burger en 2024, selon une étude de Stratég’eat. Un marché qui a généré 1,2 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2023.
Un sandwich politique… Et polémique
Mais, conséquence de son succès, le kebab s’est fait de solides ennemis. De simple spécialité culinaire, le kebab est devenu un objet politique, symbole pour certains du Grand remplacement à l’œuvre en France. « La nourriture reste un objet politique, en particulier en France où nous avons une haute vision de la gastronomie française, confie Benjamin Baudis. Le côté nourriture plus ethnique du kebab peut amener du rejet. Au Royaume-Uni, en Allemagne, les kebabs sont devenus des plats locaux, et se sont intégrés dans la culture. »
« On est dans un pays de tradition judéo-chrétienne. Ces commerces n’ont rien à voir avec notre culture »
Le pic de la « polémique kebab », est atteint en 2015, lorsque le maire de Béziers, Robert Ménard annonce son intention d’interdire l’ouverture de nouveaux kebabs dans sa ville. « On est dans un pays de tradition judéo-chrétienne. Ces commerces n’ont rien à voir avec notre culture. C’est difficile pour certains mais il faut s’y faire. Quand il y a trop d’immigrés dans un pays, c’est trop d’immigrés. À un moment donné, dans le domaine alimentaire, de la restauration, je trouve que trop de kebabs, c’est trop », affirmait sans ciller Robert Ménard. En réponse à la position de l’élu local, l’ancien candidat à la présidentielle Benoît Hamon, avait diffusé une photo de lui dégustant un kebab, accompagné de cette légende : « Vive la diversité culinaire. Vive la diversité culturelle. »
Le marché halal en pleine expansion
Conséquence du Covid ou de l’inflation, la fulgurante progression du kebab semble avoir atteint depuis deux ans un palier. « Le kebab historique est un peu en perte de vitesse. Les nouvelles générations essayent de se distinguer, en se tournant notamment vers les tacos », analyse Benjamin Baudis. Autrefois principale nourriture halal en France, le kebab fait désormais face à un marché de produits musulmans en pleine expansion, notamment avec la chaîne de fast-food Quick, qui propose à ses clients des burgers certifiés 100 % halal.
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