Sur le camp de Souge, en Gironde, Samuel Majou est un homme très sollicité. Dans un échange d’une demi-heure, celui qui est à la tête de la Forfusco raconte les défis de ces soldats singuliers dans un environnement international en ébullition.
Le JDNews. Présentez-nous l’ambition du salon du Sofins…
Le contre-amiral Samuel Majou. C’est un lieu où se rencontrent nos opérateurs et les entreprises qui fournissent du matériel. Ici, chacun peut échanger ses idées, partager son retour d’expérience terrain et découvrir des solutions techniques adaptées à ses besoins. C’est aussi un lieu stratégique pour les décideurs de nos armées, ainsi que ceux des armées partenaires et alliées. Ils y échangent sur les possibilités de collaboration, que ce soit pour développer de nouveaux matériels ou organiser des exercices.
Vous êtes à la tête de la Forfusco et de ses 2 700 marins. Vous avez notamment en charge la mise en condition des Forces spéciales mer. Quels enseignements tirez-vous de la guerre en Ukraine pour la préparation de vos marins ?
D’abord, bien que terrestre en apparence, ce conflit concerne tous les milieux, y compris la mer. Les flux logistiques maritimes sont essentiels pour soutenir l’effort de guerre, comme le montre la dépendance de la Russie à ses accès maritimes. La confrontation en mer s’intensifie, touchant les infrastructures critiques comme les câbles sous-marins et les pipelines. Pour les forces spéciales de la marine, c’est un véritable théâtre d’opérations. Ensuite, la guerre se joue de plus en plus sous le seuil de la conflictualité ouverte. Nos forces doivent savoir évoluer discrètement dans ces « zones grises », pas régulées, pour collecter du renseignement ou mener des actions offensives. Enfin, le champ d’action s’élargit. Il ne s’agit plus seulement d’utiliser des armes classiques, mais aussi d’opérer dans les domaines cyber, électromagnétique et informationnel.
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L’exigence du béret vert est mythique. À l’heure où les responsables militaires évoquent la nécessité de se préparer à un conflit de haute intensité, est-il possible de pousser encore plus loin la préparation des commandos marine ?
Les commandos marine n’opèrent plus seulement dans des zones de crise, mais aussi dans des environnements plus normalisés
L’exigence du béret vert reste inchangée, mais l’élargissement du champ de conflictualité et la nature des effets que nous devons produire imposent une adaptation. Les commandos marine n’opèrent plus seulement dans des zones de crise, mais aussi dans des environnements plus normalisés. Cela nous contraint à adapter nos savoir-faire et à développer de nouvelles méthodes d’action, de déplacement et de dissimulation. Ces évolutions ont conduit à l’acquisition de nouvelles techniques et nouveaux équipements, nécessitant conception, maîtrise et entraînement intensif pour une intégration optimale en opération.
Le Sofins est notamment destiné à promouvoir de nouveaux équipements. Pourquoi est-il essentiel pour les Forces spéciales mer d’être à la pointe de la technologie ?
L’opérateur évolue toujours en position d’infériorité face à son adversaire. C’est d’ailleurs le principe même d’un soldat des forces spéciales : intervenir là où le rapport de force ne joue pas en sa faveur. S’il est potentiellement plus faible en nombre ou en puissance de feu, il compense par sa discrétion et sa rapidité. Il frappe fort et vite, puis s’exfiltre sans laisser de trace. Cet avantage comparatif lui permet de remplir sa mission avec succès. Pour atteindre ce niveau d’efficacité, il ne suffit pas d’avoir des hommes bien entraînés. Il faut aussi des équipements de pointe.
L’innovation fait partie de l’ADN des commandos…
En effet, il existe aussi une innovation qui vient du terrain. Un commando qui revient de mission peut avoir été confronté à des problèmes qu’il n’a pas toujours pu surmonter. Il peut ressentir des frustrations, constater des échecs. De là naît l’idée de résoudre ces difficultés en adaptant un matériel ou une procédure, voire en créant quelque chose de totalement nouveau.
Emmanuel Macron veut « renforcer nos armées le plus rapidement possible ». Voyez-vous des freins dans le processus d’innovation et quels leviers pourraient accélérer le développement ?
L’innovation dans les forces spéciales est à la fois foisonnante et disciplinée, mais elle repose aussi sur des conditions sine qua non. Pour rester pertinente, elle doit suivre un rythme adapté à l’évolution de notre environnement. Idéalement, des cycles de six mois seraient nécessaires, mais les contraintes actuelles allongent ce processus à deux ou trois ans. Il faut donc accélérer. Lorsqu’un opérateur propose une idée, il doit la formaliser avant qu’une autre structure ne la transforme en réalisation technique. Or, les intermédiaires peuvent créer des malentendus, aboutissant à un produit final parfois inadéquat. Enfin, une plus grande autonomie financière permettrait de financer certains projets ou de collaborer directement avec des entreprises partenaires, évitant ainsi les circuits longs et complexes et renforçant notre réactivité.
La technologie est un atout, mais a-t-elle ses limites ?
Elle fait la différence, c’est indéniable. Mais elle a aussi ses contraintes : elle coûte cher et elle peut tomber en panne. Parfois, il faut une technologie simplement suffisante, car si elle devient indispensable et qu’elle dysfonctionne, nous devons être capables de nous en passer. Il est essentiel de pouvoir revenir à des modes d’action plus rustiques lorsque la situation l’impose. Paradoxalement, la technologie peut parfois être un frein.
L’intelligence artificielle est-elle un sujet majeur pour les commandos ?
Tout à fait. Nous sommes une petite structure, donc je m’appuie beaucoup sur la Marine nationale pour l’intégrer dans nos systèmes et nos moyens. L’institution est très avancée dans ce domaine, et je suis un sillage très puissant. Bien sûr, je cherche à intégrer l’IA dans nos systèmes pour augmenter nos performances.
Avez-vous un exemple ?
Prenons les systèmes de commandement : en mer, ils me permettent de localiser mes unités, de communiquer avec elles et de recevoir leurs rapports sur ce qu’elles voient ou entendent. Grâce aux données et à l’intelligence artificielle, je vais pouvoir mieux prédire les mouvements adverses ou réaliser des scénarios qui vont me permettre une adaptation rapide de nos réactions bien au-delà des capacités humaines seules.
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