Grégory Gadebois n’est pas un homme de calcul. Il n’aime compter ni l’argent, ni les jours qui passent, ni le nombre de représentations qu’il a jouées de Des fleurs pour Algernon, par intermittence, depuis sa création en 2012. « J’ai arrêté de tenir la liste après la 500e. Je ne sais plus où j’en suis, je me rapproche peut-être de la 600e. » Là où beaucoup en auraient fait un gage de reconnaissance, lui témoigne d’un calme pragmatique dans son ignorance des chiffres, menant sa carrière avec l’assurance du travail bien fait, heureux de retrouver une nouvelle fois la pièce qui l’a révélé.
Le comédien n’était pourtant pas encore né quand le célèbre producteur Jean-Louis Levi découvre, aux débuts des années 1960, le roman de science-fiction de Daniel Keyes et rêve de l’adapter pour le théâtre ou le cinéma. Un projet qui va dormir pendant plus de quarante ans avant de se concrétiser enfin, comme s’il lui était prédestiné.
Difficile en effet de voir désormais un autre incarner avec autant de justesse le personnage de Charlie Gordon, ce jeune balayeur simple d’esprit dont la vie bascule le jour où deux chercheurs le choisissent comme cobaye pour expérimenter leurs travaux sur le cerveau.
Avant lui, Algernon, une souris blanche de laboratoire opérée avec succès, a vu son intelligence décuplée. Mesuré à elle à travers des tests, Charlie va subir le même traitement. Il finit même par la battre à plate couture et devient un génie des mathématiques. Mais en gagnant en intelligence, il perd aussi l’innocence qui le protégeait de la cruauté des autres.
Assis pendant toute la pièce dans un fauteuil pivotant monté sur des rails, Grégory Gadebois livre une performance bluffante et bouleversante : d’un grand costaud mal à l’aise, encombré par son propre corps et butant sur les mots, à un surdoué sensible et extralucide, la transformation s’opère avec douceur, imperceptiblement, d’un regard ou d’une posture à peine plus affirmée. Une interprétation d’ailleurs récompensée par le Molière du seul en scène en 2014.
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« J’aime être sur un plateau, je ne m’ennuie jamais »
Bientôt cinquantenaire, celui qui ne quitte plus les écrans depuis des années se destinait à une autre vie : Grégory Gadebois aurait pu être mécanicien moto ou policier, après un service civil passé au commissariat du Havre. Mais s’il est capable de crocheter des menottes avec un trombone, réussir les concours pour entrer dans la profession est un tout autre défi dont il ne se sent pas capable. Il travaille alors comme déménageur, tout en suivant des cours de théâtre pour vaincre sa timidité.
Son professeur le repère et l’encourage à intégrer le Conservatoire de Rouen, puis de Paris. Il était moins une : la limite d’âge est de 23 ans, il en a 24. Il bénéficie heureusement d’une dérogation pour un an passé sous les drapeaux. Grâce à Denis Podalydès, il entre ensuite à la Comédie-Française où il va rester cinq ans. « J’ai beaucoup travaillé, j’avais trois phrases dans tous les spectacles. C’est une très belle période. Puis j’ai décidé de partir, sans raison particulière. Je sentais que c’était le bon moment pour moi. »
Sa carrière décolle l’année suivant son départ, avec un César du meilleur espoir pour son rôle de marin-pêcheur dans Angèle et Tony avec Clotilde Hesme, sa complice du Conservatoire, elle aussi récompensée. Avant de triompher à la création de Des fleurs pour Algernon et de jouer, la même année, Toni, le frère d’un tueur dans Les Revenants, la série acclamée de Canal+. Au fil de ses engagements, des familles se sont créées, comme avec Anne Fontaine, Michel Hazanavicius ou Éric Besnard qui l’a déjà dirigé dans trois films, Délicieux (2021), Les Choses simples (2023) et Louise Violet (2024).
Les deux hommes viennent de se retrouver pour un nouveau projet, Jean Valjean. Le long métrage est inspiré des cent premières pages des Misérables, avec la transformation du héros de Victor Hugo, de la sortie du bagne à sa soirée chez monseigneur Bienvenue. « Pendant le tournage, je n’ai pas voulu prendre conscience de l’importance du rôle, un peu lourd à porter. J’étais juste un bagnard. C’est maintenant que je m’autorise à dire que j’ai joué Jean Valjean. »
Grégory Gadebois a aussi participé à Astérix & Obélix : le combat des chefs, la série animée d’Alain Chabat bientôt diffusée sur Netflix, et sera à l’affiche, le 30 avril prochain, d’une comédie dramatique, Une pointe d’Amour. Il ne s’arrête pas là : dans les projets en cours, une série sur l’occupation de la fac de Vincennes pendant Mai 68 et un film sur Gisèle Halimi (interprétée par Charlotte Gainsbourg) dont il campe le mari, Claude Faux. « On peut faire beaucoup de théories sur le métier. Moi, je n’en ai qu’une : un acteur, ça joue. J’aime être sur un plateau, je ne m’ennuie jamais. »
Des fleurs pour Algernon ★★★. Au Petit Saint-Martin (Paris 10e). Jusqu’au 27 avril. 1h20. wwwportestmartin.com
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