
Le Tribunal correctionnel de Paris a assorti de l’exécution provisoire la peine complémentaire d’inéligibilité pour cinq années prononcée à l’égard de Marine Le Pen. Selon le tribunal, cette exécution immédiate serait justifiée par le trouble majeur et irréparable à l’ordre public démocratique qu’engendrerait le fait qu’elle puisse être candidate, voire élue, par exemple et notamment à l’élection présidentielle, alors qu’elle est condamnée pour détournement de fonds publics à une peine d’inéligibilité en première instance et pourrait l’être par la suite définitivement. Dans le contexte décrit par le jugement, eu égard à l’importance de ce trouble irréparable, le droit au recours n’étant pas un droit acquis à la lenteur de la justice, il est apparu nécessaire au tribunal, à titre conservatoire, d’ordonner l’exécution provisoire de cette peine complémentaire d’inéligibilité.
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Ce concept d’ordre public démocratique existe-t-il en droit français ? Est-il vraiment de nature à justifier légalement l’exécution provisoire ainsi prononcée ? Plusieurs éléments conduisent à considérer que les premiers juges se sont en réalité égarés dans une voie hasardeuse qui devrait être censurée par la Cour d’appel de Paris, sinon par la Cour de cassation.
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Tout d’abord, cette exécution provisoire est fondée sur un concept — l’ordre public démocratique — qui n’est nullement énoncé par l’article 471 du code de procédure pénale ; celui-ci prévoit seulement que les sanctions pénales « peuvent être déclarées exécutoires par provision ». L’ordre public démocratique apparaît donc comme une création purement prétorienne, une invention des juges sans fondement constitutionnel, qui ajoute clairement et délibérément à la loi pénale d’interprétation stricte votée par les représentants du peuple français. Le tribunal correctionnel de Paris n’a pas été « la bouche de la loi », comme le prescrit Montesquieu, mais s’est érigé en législateur illégitime, aux termes d’un jugement de 150 pages.
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L’« ordre public démocratique », une création purement prétorienne, une invention des juges sans fondement constitutionnel
Ensuite, la notion d’ordre public démocratique s’inscrit nécessairement dans la dimension de l’ordre public immatériel, à la fois équivoque et dangereuse, dans son contenu et dans sa mise en œuvre. L’ordre public matériel ne pose pas ces difficultés, ses composantes (tranquillité, salubrité, sécurité publiques) sont connues depuis le XIXe siècle.
L’élection possible de Marine Le Pen en 2027 ne peut évidemment pas s’inscrire dans une telle dimension. Mais l’ordre public immatériel dans lequel les juges se sont précipités est beaucoup plus nouveau, flou et incertain. Le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État l’appréhendent certes comme un ordre public sociétal, dans lequel peuvent entrer la dignité humaine, le « vivre-ensemble » ou encore les valeurs fondamentales de la société française. Mais la boîte de Pandore est alors ouverte et tous les abus sont concevables ; tout peut être dit ou proposé dans le domaine de l’immatériel par des juges activistes et désireux de rendre des décisions conformes à leurs convictions personnelles. À quand le prochain adjectif après « ordre public » ?
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Par ailleurs, appartient-il à des juges de première instance de fonder leur décision sur un raisonnement purement hypothétique et contraire à la présomption d’innocence, celui de la condamnation définitive de Marine Le Pen et de son éventuelle candidature à l’élection présidentielle ?
Le jugement du tribunal correctionnel restreint drastiquement la liberté de vote du peuple
Enfin, à supposer qu’il existe un ordre public démocratique, c’est-à-dire un ensemble de valeurs supérieures qui fondent les systèmes démocratiques, celles-ci exigent d’abord que soit protégée la liberté de vote des citoyens, c’est-à-dire leur liberté de choix, que le Conseil constitutionnel a précisément entendu préserver dans sa récente décision du 28 mars 2025.
Or, au nom d’un ordre public créé de toutes pièces, le jugement du tribunal correctionnel, rendu au nom du peuple français, restreint drastiquement et paradoxalement la liberté de vote de ce même peuple, s’agissant d’une candidate dont on sait qu’elle pourrait rassembler 30 à 40 % des suffrages lors du premier tour de l’élection présidentielle. L’ordre public démocratique n’exige-t-il pas précisément de protéger d’abord le choix et la liberté de l’électeur ? En définitive, pour ce qui concerne l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité, ce jugement correctionnel apparaît d’une grande fragilité juridique. Sa structure trouble et incertaine ne devrait pas résister au souffle juridique plus rigoureux des juridictions supérieures.
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