Nous avions laissé en février un candidat prudent et quelque peu corseté face à un public de sympathisants à Lille. Après deux mois de campagne, Bruno Retailleau a rodé son numéro. Ce jeudi 10 avril à Levallois, devant près de 2 000 personnes, le candidat semble libéré. Il arpente la scène, occupe l’espace, façon stand-up, et glisse quelques traits d’humour sur sa silhouette : « Certains politiques gonflent les muscles, ce que je ne peux faire modestement. » Rebelote le lendemain au commissariat d’Anglet, cette fois en tant que ministre de l’Intérieur, apostrophant le maire : « Où est le shérif de la ville ? »
D’où lui vient cette aisance presque désarmante, ce ton décontracté chez celui qui reste le premier flic de France et aspire à la présidence de son parti ? Le doublement du nombre d’adhérents LR depuis le lancement de la campagne ? La longue liste de ses soutiens ? Ce qui saute aux yeux, c’est que Bruno Retailleau a gagné en confiance – et, par ricochet, en assurance. Ce qui ne l’empêche pas d’exprimer sa « gratitude ». « Beaucoup prétendent s’être faits tout seuls. C’est un mensonge : ce sont les autres qui nous construisent », philosophe-t-il. Grandiloquent, habité : « Je puise mon énergie dans chaque meeting. Il y a en France des hommes et des femmes admirables, qui se dévouent aux autres, jusqu’à donner leur vie. Ils m’inspirent et me poussent à avancer », confie-t-il au JDD en chemin vers Biarritz, ce vendredi 11 avril.
L’ancien sénateur semble porté par un souffle nouveau. Un sondage Ifop pour le JDD le crédite de 11 % au premier tour d’une éventuelle présidentielle, plus du double de son concurrent Laurent Wauquiez. « Je vois mon parcours comme une accélération, une sorte de densification de mon rythme », analyse-t-il. Le Vendéen se prend au jeu et entame le récit d’un destin à la rencontre des Français. Il évoque son grand-père qui « a reçu une balle dans la gorge en 1914 » et son père qui « a fait la guerre d’Algérie ». Plus intime encore, il se livre sur son enfance et sa passion précoce pour la musique, avant de raconter l’éveil de sa conscience politique : « Au départ, au service d’une petite communauté rurale, puis de la Vendée, avec mon engagement au Puy du Fou. Désormais, c’est la France. » Le moment est venu. La rencontre avec le pays. Le récit que tout candidat bâtit par petites touches.
Au péage de Biriatou, à la frontière franco-espagnole, le ministre de l’Intérieur cultive la fibre régalienne, celle du chef. Sous une pluie fine de printemps, Bruno Retailleau serre les mains de ses hommes, glisse un mot à chacun lors de la revue d’effectif. Sans oublier la pose avec les forces canines, une attention particulière portée à Pintxo, l’un des douze labradors des douanes de la région, qui a permis, la veille, de débusquer 16 kg de résine de cannabis dans un Chrysler Voyager.
Tout est affaire de symboles lorsque l’on tisse un récit
Retailleau est en campagne, pour la tête de son parti comme pour la suite. Les deux horizons semblent converger. Même si le principal intéressé s’en défend. « Le paysage politique changera d’ici 2027. Il est beaucoup trop tôt pour se projeter. La victoire est possible si on travaille en amont, sans se précipiter sur cette échéance », tempère-t-il. Tout juste Bruno Retailleau ambitionne, modestement, de « refonder un socle idéologique et présenter un projet de société novateur ». Fidèle à son image, malgré les sondages flatteurs, Retailleau ne veut pas brûler les étapes.
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Sur ce parcours escarpé, les embûches sont nombreuses. Celles tendues au prétendant à la présidence de LR, et plus encore celles, redoutables, du poste de ministre de l’Intérieur. Ce vendredi, en fin de matinée, Emmanuel Macron affirme être « confiant » quant à la libération de Boualem Sansal. Retailleau, prudent, préfère « juger sur pièces ». Critiqué ces derniers jours sur sa méthode musclée à l’endroit du régime algérien, au point que la diplomatie a pris le relais, ce dernier refuse le désaveu. « J’étais seul au départ », revendique-t-il, avant d’être rejoint sur la ligne de la « riposte graduée ». Bravache, il revendique avoir donné le la de la politique de la France en Algérie. Pour le reste, sa ligne n’a pas bougé : la libération de Boualem Sansal et le « respect par l’Algérie de l’accord de 1994 ».
Le ministre candidat reprend son marathon vers Biarritz pour un nouveau meeting, avant une réunion publique à Toulouse samedi. Puis il s’envolera ce soir vers le Maroc pour « consolider les avancées obtenues sur les laissez-passer consulaires ». Ce matin-là, un autre marathonien s’élance dans les rues de la capitale : Laurent Wauquiez participe à la course parisienne au lendemain de ses 50 ans. Tout est affaire de symboles lorsque l’on tisse un récit. Pour l’un comme pour l’autre, participer ne suffit pas. Seule compte la victoire.
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