La méthode Plenel ? C’est encore son auteur qui en parle le mieux : « J’aime la petite dague très fine qui rentre dans la chair et juste une petite goutte de sang. Les meilleurs papiers, c’est ça. » L’ancien rédacteur en chef du journal Le Monde (1996-2004) et de Mediapart (2008-2024) a, tout au long de sa carrière, pris un plaisir visible à voir le sang de ses ennemis politiques couler. En 1972, il entre dans le journalisme, sous le pseudonyme de Joseph Krasny (« Rouge » en russe), en faisant l’éloge de Septembre noir quelques jours après que cette organisation a exécuté onze athlètes israéliens pendant les Jeux olympiques de Munich. « Aucun révolutionnaire ne peut se désolidariser de Septembre noir. Nous devons défendre inconditionnellement face à la répression les militants de cette organisation », écrit-il dans Rouge, l’hebdomadaire de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR).
Pour Dominique Baudis, alors président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (devenu l’Arcom), le sang n’était pas au rendez-vous ce 18 mai 2003 : c’étaient plutôt de grosses gouttes de sueur froide qui coulaient le long de son visage, sur le plateau du « 20 heures » de TF1, alors qu’il tentait maladroitement de se défendre de rumeurs abominables. Gilles Gaetner, dans son livre en forme de lettre ouverte à son « cher ami », rappelle le rôle tenu à l’époque par Edwy Plenel et sa garde prétorienne de journalistes venus de Rouge, qui sonnent l’hallali alors que l’ancien maire centriste de Toulouse est aux abois. Jamais en reste d’une vilenie, Dominique de Villepin l’y incite vivement : « Ces petits messieurs ont les fesses sales », dit-il à Plenel, dans le style ordurier qui est le sien, hors des plateaux de télévision.
Il a fait sien le mot de Daniel Bensaïd : « Nous avons raison d’avoir tort »
Le journaliste d’investigation, par l’odeur du sang alléché, mandate alors l’un de ses proches, Jean-Paul Besset, qui cosigne un article évoquant des « messes rouges » et des « soirées sadomasochistes » où les filles sont attachées « à des anneaux fixés aux murs », « à hauteur d’enfants », pour y subir les sévices les plus horribles. Un détail imaginaire pour faire vrai, c’est ce que dira Nicolas Fichot, l’autre coauteur de la soi-disant « enquête », avec cette précision qui fait froid dans le dos : « Ce sont des faits qui semblent être vrais. Ça semble être tellement vrai que… le procureur a fait un démenti. » Pour Plenel, tout ce qui est probable est vrai. L’adepte du fondateur de l’Armée rouge a fait sien le mot de son maître à penser, Daniel Bensaïd, le dirigeant historique de la LCR : « Nous avons raison d’avoir tort. »
Moins d’un an après ce dérapage, l’acolyte de Plenel accédera au poste de directeur adjoint de la rédaction du Monde, puis deviendra député européen écologiste sans s’être expliqué le moins du monde sur cette monstrueuse forgerie. Plenel laissera à d’autres, après son départ, le soin d’avoir honte du Monde, dont la réputation est en lambeaux.
« Exclure était sa manière de diriger, l’humiliation collective sa détestable technique »
C’est à Éric Fottorino, nommé directeur après la tempête déclenchée par la publication de La Face cachée du Monde, qu’échoit le douloureux privilège d’apurer les années Plenel, « dont l’affaire Baudis fut l’illustration la plus pénible, et aussi la plus préjudiciable ». Dans son Tour du « Monde », qui relate ses vingt-cinq ans au service du quotidien du soir, Fottorino dévoile l’imposture Plenel et « sa forfanterie à croire qu’il était un mythe vivant du journalisme […]. Exclure était sa manière de diriger, l’humiliation collective sa détestable technique ». Quant à sa méthode de travail, c’est Nicolas Domenach, qui fut son collègue de bureau, qui en parle le mieux : « J’étais épaté par sa manière de prendre trois éléments disparates et d’en faire une hypothèse qu’il faisait ensuite monter en mayonnaise… »
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Le faux scoop de Panama
Contrairement à la légende du journaliste sans peur et sans reproche, Edwy Plenel est un récidiviste dans l’art du vrai-faux. Bien avant l’affaire Baudis, il y a eu le faux scoop de Panama. Dans leur magistrale enquête publiée en 2003, Pierre Péan et Philippe Cohen rappellent que la star des écoles de journalisme n’en est pas à une sortie de route près. Le faux scoop de Panama est, selon eux, une illustration quasi fondatrice de la conception du métier de journaliste engagé selon Plenel.
En 1991, sur la base d’un faux grossier, le journaliste publie l’information selon laquelle le dictateur du Panama, le général Noriega, a financé la campagne présidentielle de François Mitterrand en 1988. Tout est faux ! Malheureusement, les jeunes générations de journalistes préfèrent avoir tort avec Edwy Plenel que raison avec Pierre Péan. Refusant d’être un auxiliaire de justice et encore moins un « journaliste d’investigation », Pierre Péan n’a en effet jamais été tendre avec les méthodes du fondateur de Mediapart : « Attendre sur son bureau les PV des juges, ce n’est pas ce que j’appelle de l’enquête, mais de la simple gestion de fuites. Le journaliste devient un pion, rentrant dans les objectifs des uns et des autres, devenant l’outil de vengeances ou de stratégies judiciaires. »
La loi des suspects
À son propos, Franz-Olivier Giesbert a inventé l’excellente formule : « Trotskyste un jour, flic toujours ! » En France, le guide de l’ascension sociale n’a pas changé depuis Balzac. Plenel a appliqué à la lettre la méthode Vautrin, le personnage central de La Comédie humaine, qui avait la haute main sur le renseignement et la presse. Fasciné par le monde de la police, le journaliste est littéralement hanté par la figure de Joseph Fouché, sinistre ministre de la Police sous quatre régimes différents : le Directoire, le Consulat, l’Empire et la Seconde Restauration. Une fascination morbide qui l’a conduit à écrire une préface délirante à une réédition des Mémoires de l’homme politique le plus craint du XIXe siècle, surnommé le « mitrailleur de Lyon », qui jugeait la guillotine trop lente et lui préférait la mitraille pour les exécutions de masse des suspects…
Fouché, Che Guevara, Trotsky, le panthéon personnel du général Moustache, comme le surnomment les journalistes de Mediapart, rappelle que celui qui se définit toujours comme un « trotskyste culturel » a la loi des suspects dans le sang.
Pour qui roule Mediapart ? La face cachée d’Edwy Plenel, Gilles Gaetner, Fayard, 272 pages, 21,90 euros
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