Il ne faut pas s’y méprendre : dans les relations explosives qui agitent la ligne Paris-Alger, Alger a fait le choix d’inférer directement sur la politique française en livrant une lecture des événements qui dissimulent à peine les intentions des hiérarques algériens. Ceux-ci sont des acteurs directs de nos jeux internes. On le savait par l’influence qu’ils entendent exercer à partir de leur diaspora et qui explique entre autres les ramifications dont ils usent sur notre propre échiquier partisan.
Après tout, la gauche en Commission des Affaires étrangères s’est abstenue de voter la proposition de résolution défendue par la députée « Ensemble pour la république », Constance le Grip, qui exigeait la libération immédiate de Boualem Sansal au motif que ce texte présentait des mesures trop coercitives vis-à-vis du régime algérien. Il sera intéressant d’observer la position des parlementaires du « Nouveau Front Populaire » lorsque la discussion de cette disposition législative s’effectuera en séance plénière début Mai… Au vu de la brusque remontée de tensions entre les deux rives de la Méditerranée, la manipulation à distance de notre vie politique par Alger ne devrait pas en rester là.
L’Algérie prend le dessus
Le récit des dignitaires algériens après l’épisode des expulsions réciproques des agents respectifs des deux pays est parfaitement clair : l’arrestation d’un fonctionnaire du Consulat d’Algérie à Créteil sur demande du Parquet national antiterroriste ne saurait être qu’une opération visant à déstabiliser le rapprochement que l’on avait cru en bonne voie, après la rencontre du ministre des Affaires étrangères français et du président Tebboune.
Bruno Retailleau, bouc émissaire idéal de toutes les récriminations algéroises
Il suffit de lire la presse algérienne, supplétive de son régime et les communiqués officiels de ce dernier pour saisir qui Alger a décidé de cibler : le parti de la fermeté dans les relations avec l’Algérie, amplement soutenu par l’opinion publique en France dorénavant et dont le ministre de l’Intérieur, au sein du gouvernement, Bruno Retailleau, incarne la ligne franche et sans concession. Tout l’enjeu consiste dès lors à faire du locataire de la Place Beauvau le bouc émissaire idéal de toutes les récriminations algéroises.
Évidemment, la polyarchie clanique qui règne en Algérie plaque ses propres réflexes pour lire la situation institutionnelle et politique hexagonale. L’indépendance du parquet ? Une fiction… Les luttes de factions au sein de l’appareil étatique ? Un principe organique qui d’Alger à Paris serait reproductible à l’identique…
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Bruno Retailleau, seul espoir pour remporter ce tour de force
La grille d’analyse de l’oligarchie issue des forges du FLN trouve dès lors son prolongement à partir d’un point d’application dont elle s’imagine qu’elle pourrait presque l’activer à distance. Il s’agit pour le pouvoir qui contrôle et dirige l’Algérie d’affaiblir le gouvernement français en espérant le départ du ministre de l’Intérieur. Une hypothèse qui, de facto si elle voyait le jour, serait susceptible de désosser la friable coalition qui gouverne à Paris dans la mesure où cette démission sonnerait selon toute vraisemblance le glas de l’appariement des LR au gouvernement Bayrou.
Des décennies après l’indépendance, le pouvoir algérien se réinviterait ainsi au point de déstabiliser politiquement nos institutions, tout en dopant les prétentions algéroises à obtenir en creux de la crise actuelle toujours plus de concessions de la part de l’ancienne puissance coloniale. On n’a pas fini de mesurer les ondes négatives de cette relation impossible Paris/Alger. À ne pas vouloir se tenir à la bonne distance, Paris, sous Emmanuel Macron mais déjà avant lui, n’a jamais voulu comprendre qu’il n’y avait rien à obtenir dans la proximité avec un pouvoir qui se nourrit et se légitime du ressentiment anti-français.
C’est parce qu’il est le premier, en position de responsabilité gouvernementale, à tenir tout haut un discours rompant avec ce conformisme de l’accommodement, que Bruno Retailleau est devenu l’ennemi public des doges algériens…
*Arnaud Benedetti, rédacteur en chef de la Revue Politique et parlementaire, professeur associé à l’Université Paris Sorbonne.
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