Lutte des classes, le retour : au Conseil de Paris, en février dernier, le groupe communiste rouvre les hostilités contre l’enseignement privé, qu’il accuse de favoriser « l’entre-soi et le séparatisme social », selon les mots de Jean-Noël Aqua, élu du 13e arrondissement. La gauche parisienne entend purement et simplement « transférer » cinquante postes d’enseignants du privé vers le public.
« C’est à la fois irréalisable et insensé », s’oppose Sandra Boëlle du groupe LR, rappelant au passage que les électeurs de gauche, plus mesurés que leurs élus, restent très majoritairement attachés à la liberté de choix entre privé et public. « La guerre scolaire que vous tentez de ranimer est anachronique et, contrairement à l’idée que vous véhiculez, l’enseignement privé ne choisit pas qui s’adresse à lui », rétorque l’élue à Jean-Noël Aqua qui confesse son objectif, « éviter le mur de 50 % de collégiens scolarisés dans le privé en 2033 ».
La natalité, encore et toujours
Cette barre symbolique ressemble à une hantise : issue d’une étude des chercheurs Julien Grenet et Pauline Charousset pour l’académie de Paris, publiée il y a un an, la projection avait déjà attisé les tensions entre public et privé. Longtemps stable autour d’un tiers des effectifs, la part de l’enseignement privé à l’entrée en sixième a fait un bond, à Paris, de 35 à 38,6 % entre 2020 et 2023. Alors que la barre des 40 % approche, pour un professeur dans un collège privé du 18e arrondissement, « c’est déjà une forme de désaveu pour le public, atteint d’un désamour relatif… Mais cet horizon de la moitié, ce risque de devenir minoritaire, c’est inconcevable pour eux ! »
Avant même les fermetures de classes, cette tension s’était manifestée sur d’autres terrains : le dernier plan local d’urbanisme, adopté en novembre dernier malgré des critiques virulentes, avait « pastillé » sept établissements catholiques de la capitale, en faisant des « emplacements réservés », désormais éligibles à devenir des logements sociaux… En réponse à leur inquiétude d’être entravés dans leurs projets d’agrandissement ou de rénovation, la mairie de Paris se voulait rassurante, expliquant qu’il s’agissait seulement de préserver ces bâtiments de la spéculation immobilière et de s’inscrire dans l’objectif de 40 % de logements sociaux d’ici à 2035.
L’enseignement privé échappe à cette dégringolade, c’est ce qu’on ne lui pardonne pas
Le nombre fait-il loi ? La réalité démographique est implacable et le vœu adopté par le Conseil de Paris visant à « annuler les suppressions de postes annoncées » dans le public paraît bien… pieux. Depuis plusieurs années, le nombre d’élèves parisiens est en effet en chute libre. Certes, la natalité baisse dans l’ensemble du pays : il y a dix ans, le nombre de naissances annuelles passait sous les 800 000, et la chute continue amène à 663 000 nouveau-nés seulement l’année dernière en France.
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Les classes d’âge ont fondu mais à Paris, la baisse de la natalité est plus spectaculaire encore : autour de 30 % depuis 2010 ! Les familles fuient la capitale, en particulier celles de la classe moyenne, et celles qui restent ont moins d’enfants : après 4 200 élèves de moins en 2024 dans les établissements publics, la tendance s’accentue légèrement pour 2025, avec une perte estimée à 4 300 élèves ; 202 postes doivent donc être supprimés l’année prochaine dans l’enseignement public parisien, 110 en primaire et 92 dans le secondaire, pour un total de 233 fermetures de classes…
L’enseignement privé parisien échappe à cette dégringolade et « c’est ce qu’on ne lui pardonne pas », note une mère de famille du 15e arrondissement. Ses effectifs sont stables, voire en légère augmentation – il a gagné 147 élèves à la rentrée – et la demande ne faiblit pas : dans le contexte, cela ressemble à une conquête… Mais il n’est pas épargné pour autant par les suppressions de postes, décorrélées de ses effectifs : une quarantaine seront supprimés en septembre…
Au prix de quelques réorganisations, comme l’abandon de classes dédoublées, le privé parvient à limiter la casse, en ne programmant que dix fermetures de classes, dans des établissements du 6e et du 7e arrondissement, ainsi qu’au lycée général Saint-Michel de Picpus (12e) ou au lycée technologique et professionnel Sainte-Thérèse (16e), où quatre classes doivent être fermées.
Comme partout en France, les banderoles prolifèrent sur les écoles menacées. Dans les campagnes, où la question est brûlante, comme dans les grandes villes, les rouages des décisions, perçus comme opaques, sont contestés. À Paris, acteurs et soutiens de l’enseignement public ont manifesté il y a un mois, accompagnés de parents d’élèves, tandis qu’une partie des enseignants faisaient grève. Les syndicats mobilisés jugent que le public n’a pas à supporter seul la baisse des effectifs et la FSU fait à peine mystère de sa volonté de disparition à terme de l’enseignement privé. Le syndicat estime, à l’unisson de Jean-Noël Aqua, l’élu communiste, que le privé bénéficie d’un avantage comparatif indu en n’étant pas soumis à la carte scolaire.
Le spectre de Bétharram
Du côté des parents d’élèves du public, les positions sont contrastées : la chasse au privé est ouvertement assumée chez la FCPE, alors que la Fédération des parents de l’enseignement public (Peep) rappelle son attachement à la liberté de choix des familles. Sur la même ligne, Patrick Bloche, le premier adjoint d’Anne Hidalgo chargé de l’éducation, se défend aussi de vouloir ranimer la guerre scolaire, rappelant que la loi Debré de 1959 sur la liberté scolaire reste la référence.
Dans le privé, on se sent lésé, et parents d’élèves et cadres de l’enseignement catholique sous contrat sont vent debout contre cette décision qu’ils jugent nourrie par des motivations politiques. Régulièrement attaqué, tant sur le « caractère propre » de son enseignement que sur ses modalités d’organisation, l’enseignement catholique est de surcroît mis sur le grill actuellement par une commission d’enquête parlementaire sur « les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires ».
Lancée par les députés dans le sillage de l’affaire Bétharram, sous la houlette des rapporteurs Paul Vannier (LFI) et Violette Spillebout (Renaissance), la commission a finalement été élargie à l’enseignement public, mais depuis le 20 mars, les premières auditions se sont concentrées sur l’enseignement privé. Lors de son passage, Philippe Delorme, secrétaire général de l’Enseignement catholique, a reconnu des failles et a assuré avoir renforcé les dispositifs de prévention et de signalement. Sous la pression de Paul Vannier, opposant déclaré, les échanges ont été tendus : la guerre scolaire n’est pas encore terminée…
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