Le JDD. Votre dernier ouvrage portait sur le Hamas. Pourquoi vous intéresser cette fois au Hezbollah ?
Mohamed Sifaoui.C’est la même enquête. Ce sont là deux faces d’une même pièce, deux proxys du régime iranien. Il était pour moi logique d’expliquer, au lendemain des attentats du 7-Octobre 2023, ce qu’était évidemment le Hamas – mais aussi le Jihad islamique – qui agit notamment à Gaza, et ce qu’est le Hezbollah, qui est l’organisation terroriste la plus importante au monde.
Ce qui les distingue d’Al-Qaïda ou de Daesh, c’est que la doctrine est secondaire. Ce sont deux organisations qui ont une vision idéologique, certes, mais aussi une vision politique et géopolitique. Je voulais aussi expliquer comment le Hezbollah a évolué depuis sa naissance pour devenir un État dans l’État aux ramifications tentaculaires.
La thèse de votre ouvrage est que la milice chiite, loin d’être morte et enterrée, prépare son retour. C’est-à-dire ?
L’organisation est affaiblie, mais il serait naïf de croire qu’elle est morte. Elle a perdu énormément de ses capacités militaires mais aussi de ses ressources humaines. Pour autant, elle peut continuer à faire preuve de nuisance à court terme, mais surtout elle peut se reconstruire si la communauté internationale n’agit pas avec comme objectif de l’achever. Il faut assécher ses finances et la démilitariser.
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C’est le nœud gordien, car le Hezbollah pour sauver son armement serait capable de déclencher une guerre civile. En outre, plusieurs régimes comme la Turquie, le Qatar, mais aussi l’Algérie, œuvrent pour remettre sur pied la milice chiite. Croyez-le, il ne s’agit pas d’une « thèse » ou de suppositions, mais d’éléments factuels et documentés qui montrent que cette organisation n’est pas morte et qu’elle est en pleine reconstruction.
Quelles sont les ressources dont dispose encore le Hezbollah aujourd’hui ?
La première ressource, c’est un vivier d’une jeunesse chiite manipulée depuis plus de 40 ans et abreuvée à la haine d’Israël et à la quête du martyr. Ensuite, même si une partie de son arsenal a été détruite, il lui reste beaucoup d’armes. Il faut de ce point de vue relativiser. On estimait avant la guerre à 200 000 pièces (missiles et roquettes) à disposition du Hezbollah.
« Il faut inscrire le Hezbollah sur la liste des organisations terroristes »
Au lendemain de la guerre, des estimations optimistes ont révélé que la moitié de l’arsenal aurait été détruite. Admettons que cela est vrai, il reste donc 100 000 pièces à disposition de la milice. Il n’y a pas beaucoup d’organisations terroristes qui disposent d’un tel armement aujourd’hui.
Vous montrez que l’organisation a des réseaux d’influence et de financement un peu partout dans le monde, y compris en France. Quels sont-ils ?
Les services de renseignement français surveillent les réseaux proches du Hezbollah et qui sont, croyez-le, très nombreux. Outre dans l’Hexagone, ils sont actifs en Belgique, en Allemagne ou aux Pays-Bas. Ils cherchent à agir sur le plan financier et logistique. Cela va du trafic de minerais aux diamants en Afrique, jusqu’aux montres de luxe et aux bijoux en Europe. Reste que pour agir contre eux de manière efficace, il faut criminaliser le Hezbollah, tout le Hezbollah, et l’inscrire sur la liste des organisations terroristes. Cela permettra à la justice d’agir en conformité avec la loi pour démanteler ces réseaux logistiques et financiers proches de la milice.
Vous constatez aussi une certaine mansuétude dans le débat médiatique et universitaire vis-à-vis du Hezbollah. Comment l’expliquez-vous ?
Je pense que la mentalité européenne n’amène pas à se méfier des délinquants libanais. Généralement, ce sont des personnes en apparence charmantes, plutôt bien intégrées, qui n’attirent pas l’attention. Il ne faut pas oublier que les chiites sont les « inventeurs » de la taqiya, la dissimulation. Les militants du Hezbollah savent passer en dessous des radars.
Enfin, je crois qu’il y a chez certains Français, journalistes ou universitaires, une sorte de fascination pour les organisations islamistes en général, voire pour d’autres une haine viscérale à l’endroit d’Israël. En tout cas, j’observe une grande indulgence à l’égard du Hezbollah libanais, qui a tué des soldats français et qui a perpétré des attentats sur le sol français.
Vous dénoncez aussi dans votre ouvrage l’ambiguïté diplomatique de la France vis-à-vis de cette organisation…
Oui, je trouve que la position française gagnerait à évoluer. Les diplomates, tout comme l’Élysée, craignent de fâcher le Hezbollah et de ne plus être entendu au Liban, mais aussi par le régime iranien. Cette ligne pouvait être défendue au cours des années précédentes, mais elle ne peut plus l’être aujourd’hui.
« Si l’arc chiite est démantelé, il ne restera rien du régime des mollahs »
Le régime de Bachar al-Assad qui protégeait le Hezbollah est tombé, le gouvernement libanais est incarné par des personnalités honnies par la milice chiite et le régime iranien est affaibli. Je crois vraiment que c’est le moment de donner le coup de grâce à cette milice qui agit contre les intérêts des Libanais et reste un acteur toxique important sur la scène moyen-orientale.
En pleines négociations avec les États-Unis sur la question du nucléaire iranien, est-ce que le régime des mollahs pourrait renoncer à soutenir la milice chiite ?
L’un des compromis pourrait être le lâchage du Hezbollah. Il est certain que les mollahs ne prendront leurs distances avec la milice libanaise que s’ils voient que cela pourrait entraîner la chute de leur régime. Nous n’en sommes pas là pour l’instant. Je pense qu’il faut raisonner différemment. L’Iran est puissant à travers ses proxys : les Houthis au Yémen, le Hamas à Gaza, les milices chiites en Irak. Si l’arc chiite est démantelé, il ne restera rien du régime des mollahs. Il pourrait même s’effondrer comme un château de cartes quand les conditions seront réunies.
Ces derniers jours le Hezbollah se dit aussi prêt à engager un processus de désarmement si l’armée israélienne se retire du sud du Liban. Est-ce que l’on peut prendre cette promesse au sérieux ?
Personnellement, je me méfie toujours des « promesses » islamistes. A fortiori venant du Hezbollah. Aujourd’hui, l’organisation a besoin de gagner du temps, faire croire qu’elle joue le jeu pour continuer sa reconstruction. La milice veut que l’armée israélienne quitte le sud du Liban afin de reprendre ses positions stratégiques et de remettre la main sur des armes stockées dans la région. Je ne crois pas qu’ils accepteraient vraiment un désarmement car sans armes, la milice disparaîtrait.
Hezbollah – De Beyrouth à Paris, la milice prépare son retour, Mohamed Sifaoui, Éditions du Rocher, 310 pages. 21,90 euros.
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