Les médecins fulminent. Dans leur viseur : la proposition de loi transpartisane sur la régulation de l’installation des praticiens, en discussion depuis 2022. Ce texte prévoit « une libre installation des médecins sur 87 % du territoire ; pour les 13 % restants, un médecin ne pourra s’installer que si un autre s’en va », explique Philippe Vigier, député Modem et co-auteur du texte. Autrement dit, dans les zones dites surdotées, l’installation ne serait autorisée qu’en remplacement, avec l’accord préalable de l’Agence régionale de santé (ARS).
L’objectif affiché est de favoriser une répartition plus équilibrée des professionnels de santé sur le territoire, notamment dans les zones souffrant d’un déficit chronique en offre de soins – les fameux déserts médicaux. « Il s’agit d’aider à la juste répartition médicale dans les zones en déficit de soignants », souligne Philippe Vigier. Malgré sa large adoption à l’Assemblée nationale (155 voix contre 85), le projet de loi suscite une vive contestation chez les professionnels : médecins libéraux, internes et étudiants en médecine appellent à faire grève dès le 28 avril et à manifester le lendemain.
Ce n’est pas de la régulation mais de la coercition
Franck Devulder, président de la Confédération des Syndicats Médicaux Français
Franck Devulder, président de la Confédération des Syndicats Médicaux Français (CSMF), motive son opposition au texte en ces termes : « Ce n’est pas de la régulation mais de la coercition. Cette loi représente une ligne rouge à ne pas franchir. Ajouter une contrainte à un métier déjà en difficulté, c’est absurde ! » Le gastro-entérologue et hépatologue dénonce des conditions de travail déjà très dégradées pour les médecins libéraux, confrontés à des agendas surchargés, à une patientèle débordante, et à une rémunération à la baisse.
Ce ras-le-bol fédère les syndicats médicaux, qui appellent d’une seule voix à la grève. Jean-Christophe Nogrette, président de la Fédération française des médecins généralistes MG France en Haute-Vienne, confirme : « La grève va être difficilement tenable avec nos agendas et nous ne voulons pas mettre nos patients en danger, mais celle du 29 avril, tous les syndicats la feront. Il y aura des manifestations à Paris et des mobilisations locales ».
La liberté du corps médical mise en péril ?
Au cœur des inquiétudes : la restriction de la liberté d’installation des médecins. Un argument que Philippe Vigier balaie : « Ce n’est ni la camisole, ni une fatalité ! Si on les écoutait, il ne faudrait toucher à rien. Je respecte les syndicats médicaux, mais ce n’est qu’une petite régulation. » Le député rappelle que cette liberté médicale est déjà encadrée à différents niveaux dans le parcours médical : réforme de la PACES, ville de formation, choix de spécialité, etc. Il souligne aussi que d’autres professions, telles que les infirmiers et les pharmaciens, sont soumises à des règles d’installation.
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Mais pour la CSMF, cette nouvelle contrainte va trop loin. « Cette loi est anti-jeune et anti-libérale. Si vous mettez autant d’entraves, les jeunes médecins ne s’installeront jamais ! », alerte Frank Devulder. Les jeunes praticiens, qui ne se sont pas encore installés, sont en effet en première ligne. Leurs syndicats sont d’ailleurs parmi les plus mobilisés. Pour Jean-Christophe Nogrette, le système définissant les zones surdotées serait défaillant. Il cite l’exemple de Mantes-la-Ville, dans les Yvelines, considérée comme surdotée alors qu’elle ne compte que trois médecins généralistes pour 21 000 habitants.
Il faut rebâtir la médecine de A à Z
Philippe Vigier, député Modem et co-auteur du texte
Une aberration selon lui, qui illustre l’obsolescence des critères actuels. Le médecin plaide pour une refonte complète du zonage : « Il faut affiner les indices d’évaluation de densité médicale et créer un système qui se coordonne avec les CPTS (Communautés Professionnelles Territoriales de Santé) de chaque département. » Jean-Christophe Nogrette évoque également les villes touristiques, dont la densité médicale est calculée hors saison, faussant les données. Surtout, le responsable local de MG France affirme que « les jeunes médecins ne vont pas s’installer dans des zones déjà saturées » : « c’est une vision déconnectée de la réalité que d’imaginer le contraire », assure-t-il.
L’urgence de résorber les déserts médicaux
Reste la question centrale : comment répondre efficacement aux déserts médicaux ? Pour Philippe Vigier, réguler l’installation des médecins n’est qu’un levier parmi d’autres. « Cette petite mesure s’inscrit dans de plus grandes. Il faut repenser la médecine de A à Z et rebâtir entièrement le système médical français », affirme-t-il. Médecin biologiste de formation, il reconnaît lui-même que cette proposition ne suffira pas à résoudre la crise.
Les syndicats rejoignent ce constat. Ils dénoncent depuis des années une perte d’attractivité de la profession, en particulier dans le secteur libéral. Entre 2010 et 2025, selon le Conseil de l’Ordre des Médecins, la part de médecins salariés a augmenté de 18,5 %, tandis que celle des libéraux a chuté de 12 %. Une tendance qui s’explique notamment par la lourdeur des charges, la pression administrative et l’isolement dans certaines zones. Or, selon les syndicats, la régulation envisagée ne ferait qu’aggraver cette évolution.
« Avec tant de contraintes, c’est certain que nos jeunes médecins ne seront pas nos futurs médecins traitants, en campagne comme en ville. Nous sommes prêts à faire bouger les choses, mais dans le bon sens », assure Frank Devulder. Jean-Christophe Nogrette partage cette inquiétude et souligne la nécessité de donner aux médecins les moyens d’exercer correctement : « Lutter contre les déserts médicaux, c’est nous donner les moyens de travailler de façon moderne. » Il évoque notamment des subventions pour embaucher du personnel, et ainsi augmenter la capacité de prise en charge des patients. Autant de revendications que les syndicats comptent porter haut et fort le 29 avril, lors des mobilisations annoncées à Paris et en région.
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