Les gigantesques pales des 31 éoliennes du parc d’Aumelas sont à l’arrêt. Situés dans l’Hérault, au cœur d’un véritable sanctuaire de la biodiversité, ces engins sont accusés d’avoir causé la mort de plusieurs centaines d’oiseaux. Il faut dire que ces éoliennes sont implantées au cœur d’une zone Natura 2000, qui contient en son sein tout un cortège d’oiseaux rares et protégés, notamment le faucon crécerellette, menacé d’extinction.
Saisi par plusieurs associations naturalistes, le tribunal de Montpellier a condamné EDF Renouvelables, responsable des éoliennes, à 500 000 euros d’amende et son ex-PDG, Bruno Bensasson, à six mois de prison avec sursis et 100 000 euros d’amende. Une décision historique, première sur le plan pénal. « C’est une victoire pour la nature », se réjouit Cédric Marteau, directeur général de la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO). « Aujourd’hui, l’on a quatre grandes causes de mortalité non naturelles chez les grands oiseaux : les éoliennes, l’empoisonnement, le tir, et enfin les lignes électriques et les éoliennes », explique l’ornithologue, spécialiste de la biologie de la conservation. La Ligue pour la Protection des Oiseaux fait partie des associations ayant alerté la justice dans l’affaire des éoliennes du parc d’Aumelas. Son directeur général pointe du doigt la responsabilité de l’État. « Il y a clairement eu une erreur d’appréciation de la part de l’État. L’État, par le biais du préfet de l’Hérault, a décidé d’écarter le risque d’atteinte à la nature pour laisser construire les éoliennes ».
Un aigle royal tranché en deux
En janvier 2023, un aigle royal tranché en deux est retrouvé au pied d’une éolienne, toujours dans l’Hérault. Ce n’est que six jours après sa mort que le rarissime rapace a été retrouvé, et qu’une enquête a été ouverte par l’Office Français de la Biodiversité. Implantées dans la Zone Naturelle d’Intérêt Écologique du massif de l’Escandorgue, ces sept éoliennes ont été bâties en 2016. La justice a condamné la société Énergie renouvelable du Languedoc (ERL) et son dirigeant à verser un total de 35 000 euros au titre de dommages et intérêts, ainsi que 3 000 euros au titre de réparation du préjudice écologique et 1 000 pour les frais de justice à chacune des six associations à l’origine de la plainte. « Dans ces deux situations, les développeurs ont été prévenus qu’on était dans des zones à haut risque. Ils ont quand même décidé de construire leur parc malgré les impacts avérés », explique au JDD Cédric Marteau.
« Lorsque des petits oiseaux sont percutés par une pale, cela les réduit en bouillie, il est impossible de retrouver leur corps »
De son côté, l’entreprise EDF en charge du parc éolien d’Aumelas déclare auprès du JDD « prendre acte du jugement » et faire appel de la décision. « EDF Renouvelables réaffirme avoir toujours agi en responsabilité et continuera à le faire, pour le parc d’Aumelas comme pour tous ses projets », se défend l’entreprise énergétique.
56 000 oiseaux par an
Chaque année, l’on estime que près de 56 000 oiseaux sont tués par des éoliennes. Un chiffre largement sous-estimé pour le directeur de la LPO : « Lorsque des petits oiseaux sont percutés par une pale, cela les réduit en bouillie, il est impossible de retrouver leur corps », souligne-t-il. Il faut dire que le nombre d’éoliennes en France est en pleine croissance. De 5 000 en 2016, elles sont passées à 8 000 en 2020 et frôlent les 10 000 en 2024.
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Si la mort d’oiseaux est invoquée comme argument par les opposants à l’éolien, le directeur de la LPO lui, réaffirme l’attachement de l’association à cette source d’énergie renouvelable. Le problème ne serait pas les éoliennes en tant que telles, mais plutôt leur lieu d’emplacement. « Nous sommes très favorables, évidemment, à la transition énergétique, donc au développement des projets comme les éoliennes. La seule chose que l’on dit, et toutes les études le montrent, c’est quand vous mettez des parcs éoliens dans des cœurs de nature, vous ne pouvez malheureusement pas corriger l’impact », précise Cédric Marteau.
L’action de la LPO
Depuis des années, la LPO enquête sur la mortalité des oiseaux liée aux éoliennes. Une tâche difficile, qui est menée à deux niveaux. La première stratégie mise en place est la pose de balises sur des oiseaux. Ces engins, précis au mètre près, permettent de suivre le volatile sur ses déplacements, et de déceler les anomalies. « Lorsque la balise s’arrête de manière anormale, on file sur la zone, et on récupère l’oiseau », détaille Cédric Marteau. La deuxième action consiste, elle, à se rendre directement sur les zones de parc éolien, et d’observer au sol l’éventuelle présence d’oiseaux morts.
« Quand une éolienne tue, elle tue malheureusement souvent des espèces auxquelles les Français sont très attachés »
Les volatiles tués par les éoliennes sont en grande majorité des grands oiseaux, issus de ce que le directeur de la LPO nomme des « espèces patrimoniales », c’est-à-dire des espèces qui font la richesse de la France : « Quand une éolienne tue, elle tue malheureusement souvent des espèces patrimoniales. Ce qui est important dans ce cas-là, ce n’est pas tant le nombre, c’est surtout les espèces concernées, auxquelles on est très attaché, parce qu’elles représentent des trésors pour la France. »
Des systèmes de détection d’oiseaux
Afin de diminuer le nombre d’oiseaux tués par les pales des éoliennes, EDF a mis en place un système de détection de haute technologie : des caméras de détection de l’avifaune. « Ce système est actif toute l’année sur le parc et permet de détecter et surtout d’arrêter les éoliennes si les oiseaux ne s’éloignent pas, explique EDF auprès du JDD. D’année en année, nous optimisons ce dispositif pour intégrer les dernières technologies. Nous avons investi plus d’un million d’euros récemment dans le renouvellement complet de ce dispositif. »
« Le souci, c’est que quand vous êtes dans une zone où un grand oiseau passe plusieurs fois par jour, à un moment donné survient un accident. C’est statistique, et complètement prévisible. Et c’est pour ça que la justice a condamné », explique Cédric Marteau, qui ne comprend pas« l’obstination »de certains acteurs publics et privés de construire des parcs éoliens dans des zones à haute valeur naturelle. « On sait très bien qu’il y a suffisamment de place dans l’espace terrestre comme marin pour accéder à la transition énergétique avec l’éolien. Mais l’on se retrouve face à des développeurs qui s’entêtent à tenter de développer des parcs dans des zones où on leur dit et leur redit qu’il ne faut pas le faire. »
Aujourd’hui, aucune loi n’interdit l’implantation d’éoliennes dans des zones protégées. Tout se règle au cas par cas, et c’est au préfet du département que revient la décision finale. Plusieurs paramètres sont pris en compte dans le dossier d’étude pour la construction d’un parc éolien, comme la topographie de la zone, les habitations à proximité… « Il faudrait que l’environnement soit considéré comme un paramètre à part entière. Lorsque la biodiversité n’est pas prise en compte, nous déposons des recours devant la justice et c’est un échec pour tout le monde ! Ils perdent de l’argent, nous, on perd du temps et on perd du vivant », dénonce Cédric Marteau.
Tabou éolien ?
Longtemps méconnu du grand public, le phénomène de collisions mortelles d’oiseaux contre les pales des éoliennes est de plus en plus exposé, et documenté. « Aujourd’hui, il n’y a plus de tabou, confie le directeur général de la LPO.Il y a une époque où on avait des réticences à partager les données. Mais ce n’est plus le cas. Dès qu’on a une donnée, on la met sur la table, parce qu’on sait qu’elle sera beaucoup plus précieuse si elle est connue, que si on la cache. » Le président de la LPO dit regretter ces affaires judiciaires, et appelle les entreprises à collaborer davantage avec les associations de protection de la nature.
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