« Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité ! » Le pope Sergueï asperge les fidèles d’eau bénite. Dans la cour de l’église orthodoxe de Kramatorsk, dernière grande ville du Donbass encore contrôlée par l’Ukraine, les habitants se pressent. Chacun veut recevoir la divine bénédiction : un généreux jet d’eau bénite. D’autant que, ce matin, la ville est particulièrement calme. Hier encore, les bruits sourds des obus s’écrasant dans les champs fendaient l’air à peu près toutes les heures. Mais ce matin, rien. « Peut-être qu’ils ont entendu la parole du Christ, qui sait ? » Natalya est tout sourire. Cette « babuci » – surnom donné aux grands-mères ukrainiennes – de 82 ans a encore le visage mouillé d’eau bénite. « Que les bombardements continuent ou pas, nous fêterons Pâques quand même », s’exclame la vieille dame en russe, sa langue natale.
24 heures auparavant, les médias russes faisaient savoir que Vladimir Poutine avait ordonné à son armée de respecter une trêve pascale. Proposition acceptée par le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, qui a même surenchéri, proposant d’élargir ce court cessez-le-feu à une période de 30 jours, comme le demande Donald Trump depuis des semaines.`
Mais le calme fut de courte durée. Ce dimanche, Kiev et Moscou se sont mutuellement accusés de poursuivre les hostilités. Et si les habitants de Kramatorsk ont pu célébrer Pâques à l’écart des explosions, les Ukrainiens vivant plus près de la ligne de front n’ont, eux, pas eu cette chance. À Rodynske, les débris d’un immeuble éventré par un missile gênent la circulation. Dans ce petit village vidé d’un tiers de sa population, le cessez-le-feu pascal résonne comme une vaste blague. Et pour cause, Rodynske a le malheur de se trouver à cinq kilomètres à peine de Pokrovsk, « l’enfer sur terre », comme le surnomment les locaux. Épicentre des combats dans la région, Pokrovsk, autrefois forte de 60 000 âmes, n’est plus qu’un vaste tas de cendres fumantes, assailli par les drones et meurtri par d’incessantes frappes aériennes.

« Quand j’ai entendu parler d’un cessez-le-feu à la radio, je n’y ai pas cru une seconde. Ça fait huit mois que l’on se réveille et que l’on se couche avec le bruit des bombes, comment croire que ça pourrait s’arrêter ? » Oleksandra tient le dernier magasin encore ouvert à Rodynske. Dans la commune, l’eau et l’électricité ont été interrompues.
Les murs de l’église tremblent au rythme des frappes d’artillerie
Mais Oleksandra est parvenue à se procurer un générateur, et a refusé de plier boutique. « Les soldats me surnomment ‘l’ange gardien’, car je leur prépare des hot-dogs et leur vends de l’eau fraîche ! ». À Rodynske, la proximité des combats n’empêche pas les quelques habitants restants de fêter la Pâques orthodoxe. L’église, au centre de la commune, a miraculeusement été épargnée par les bombes. Mais ses murs tremblent au rythme des frappes d’artillerie. « Cela va vous étonner, mais il y a plus de fidèles à la messe pendant qu’avant la guerre ! », s’amuse le pope Viktor, qui célèbre l’office. Le religieux se rend dans chaque village encore peuplé autour de Pokrovsk et tente, autant que faire se peut, de ramener quelques onces d’espérance. « Les gens qui vivent encore ici n’ont pas pu fuir. Ils ne possèdent rien, n’ont pas de famille ailleurs en Ukraine où ils pourraient aller. Ce qu’ils ont, en revanche, c’est Dieu. Lui ne les abandonnera jamais ! »
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À Rodynske ou à Mojava, une autre commune qui jouxte les ruines de Pokrovsk, on a appris à vivre avec les combats. « Pourquoi partir ? Je suis né ici, mes parents sont nés ici, je mourrai ici », résume, fatalement, Vitaly Koskenko, un garagiste. Le cessez-le-feu pascal ? « Ça n’a pas de sens ! Vous arrêtez les combats un jour pour mieux les reprendre le lendemain. » Vitaly n’attend plus la paix. Et, dans son malheur, la guerre a renfloué ses poches. Alors que la majorité des garagistes a fui la région, lui met ses compétences au service des militaires ukrainiens, dont les véhicules s’abîment sur les routes détruites de la zone de Pokrovsk. « Je tiens par le travail. Tant qu’il y a du travail, il y a de l’espoir », veut croire Vitaly, les mains noircies par la suie.

Mais dans cette partie du Donbass, indubitablement grignotée par les vagues d’assauts russes, l’espoir ne tient plus qu’à un fil. Un fil maigre, très maigre. Chaque semaine qui passe, les morts s’accumulent. Sur le long des routes, à l’orée des bois, des cimetières improvisés s’élèvent. L’armée ukrainienne, à bout de souffle, résiste autant que faire se peut, aidée par les drones kamikazes et les barrages d’artillerie. Mais le front semble difficilement tenable.
Derrière les lignes, les soldats ont commencé à creuser de nouvelles tranchées, plantées de gigantesques rangées de barbelés, de fossés anti-char et de dents de dragon. Si les Russes percent, ils pourront difficilement aller plus loin que les frontières du Donbass. Et ceux qui vivent autour de Pokrovsk devront s’accommoder d’un nouveau maître. En attendant, on fête Pâques, le visage aspergé d’eau bénite. « Il est vraiment ressuscité ! »
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