Albert Camus place le sport au-dessus de tous les enseignements : «Ce que je sais de la morale, je le dois au football. » Je ne lisais pas La Chute mardi soir. Le PSG souffrait à Birmingham. Il a perdu face à Aston Villa. Il a obtenu son billet pour la demi-finale de Ligue des champions. La coïncidence n’a échappé à personne : Kylian Mbappé quitte le Paris Saint-Germain, le club effectue sa meilleure saison. Le joueur rejoint le Real Madrid, sa nouvelle équipe traverse une saison blanche.
Hasard ou coïncidence ? Le PSG vit mieux sans lui. Le club prend un élan depuis que les stars ont quitté la capitale. Ibrahimovic, Neymar, Messi n’ont pas gagné la Ligue des champions à Paris. Aux vedettes défraîchies, le PSG a préféré une jeunesse bouillonnante. Changement de stratégie. Ils s’appellent Neves, Vitinha, Doué, Barcola. Le grand public a découvert leurs noms, floqués au dos des maillots rouge et bleu. Ces jeunes gens n’ont pas 25 ans. Ils ont le cerveau à l’endroit. Ils courent, ils pressent, ils bataillent. Ils ne contestent pas, ne chouinent pas, n’abdiquent pas. J’aime leur état d’esprit et quoi de mieux qu’un certain état d’esprit ? Voici des mousquetaires ! Un pour tous, tous pour un ! Ils sont les soldats du capitaine de Tréville – je veux dire les hommes de Luis Enrique.
Luis Enrique a réveillé le Parc des Princes
L’entraîneur espagnol a réveillé le Parc des Princes que des mois de pensums avaient assoupi. Il a rallumé ma télévision les mardis et mercredis, jours de match sur Canal+. Vive le jeu ! Qu’on me donne l’envie, l’envie d’avoir envie ! Le PSG compose un orchestre, le Real Madrid réunit des solistes. Empiler les talents vide les caisses sans décorer la vitrine. Vieille loi du football qu’Aimé Jacquet appliqua en 1998 quand il sacrifia Éric Cantona et David Ginola, icônes du moment, mais obstacles à l’harmonie. Aimé Jacquet le savait. Albert Camus le devinait.
Luis Enrique a tout changé
Si les grands entraîneurs que j’ai aimés – Jacquet, Suaudeau, Ancelotti, etc. – avaient lu L’Art de la guerre, ils avaient aussi étudié le docteur Freud. « Mon travail, disait Arsène Wenger, est de parler à Thierry Henry. » Avant de se reprendre : « Heu… d’écouter Thierry Henry. »
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La réussite du PSG est d’abord celle de Luis Enrique. Tout le monde sait lire l’heure mais tout le monde n’est pas horloger. « Certains hommes répandent, pour ainsi dire de naissance, un fluide d’autorité, dont on ne peut discerner au juste en quoi il consiste. Il en va de cette matière comme de l’amour, qui ne s’explique point sans l’action d’un inexprimable charme », écrivait le capitaine de Gaulle en 1932. Luis Enrique possède le fluide de l’autorité. Le charisme saute aux yeux mais aucun dictionnaire n’a les mots justes pour le définir. Il est une magie des paroles et des actes, un miracle qui électrise les hommes dans un vestiaire ou dans une entreprise. Le chef parle au groupe, c’est sa marque de fabrique. Luis Enrique éclaire une pièce quand il entre.
Une caméra a suivi au jour le jour le huitième entraîneur du PSG version qatari durant la saison 2023-2024, sa première à Paris. La mini-série documentaire intitulée Vous ne pouvez pas comprendre est disponible sur MyCanal. Luis Enrique marche pieds nus sur les terrains d’entraînement. « Créer une équipe, c’est mon domaine », dit-il. Davantage que répondre aux journalistes : « Qu’on me propose de réduire de 25 % mon salaire et de ne plus parler à la presse, je signe ! »
Luis Enrique évoque aussi sa fille Xana, décédée d’un cancer en 2019 à l’âge de 9 ans : « Est-ce que je me considère comme chanceux ou malchanceux ? Je me considère comme chanceux, très chanceux. Xana est venue vivre avec nous pendant neuf merveilleuses années. Nous avons des milliers de souvenirs d’elle. Des vidéos, des choses… incroyables. » Soyez vous-mêmes, les autres sont déjà pris. Luis Enrique est branché sur 220 volts. Il est un doux-dingue qui ne ressemble à aucun modèle déposé parmi ses coreligionnaires. Je veux bien être vassal quand le suzerain est grand.
Un sport collectif
Il y a Camus. Il y a Enrique. Et il y a les paroles d’entraîneurs dont seuls les joueurs qu’ils ont entraînés gardent le souvenir. Nous avions 13, 14, 15 ans. Le nôtre s’appelait Jean-Paul Allard. « Si tu veux connaître un gosse, regarde-le jouer », était son mantra. Un dimanche matin que je lambinais sur le terrain, j’ai entendu sa voix venue du banc de touche trouer la brume : « Praud ? Tu fais ta nuit?»
Une autre fois que notre équipe jouait à l’envers, il appela le capitaine : « Viens ! Viens ! Assois-toi avec moi. Tu seras mieux pour voir le match. » Nous apprenions ainsi la vie. Elle incitait à la communion. Construire, partager. Construire un projet. Partager les émotions. Jouer ensemble. Après une défaite, le coach doublait les efforts durant la séance d’entraînement. Nous étions adolescents et, presque cinquante ans plus tard, le lien qui nous unissait n’est pas rompu. Un groupe WhatsApp a vu le jour. Je suis allé à Nantes il y a quelques semaines. Un dîner était organisé. J’ai revu Laurent, Bernard, Christian, Philippe. On s’était dit rendez-vous dans quarante ans, etc.
Je me souviens du son des crampons sur le carrelage d’un vestiaire
Il paraît qu’un conseil donné non sollicité n’est jamais suivi. Tant mieux. Je déteste les conseils. Sauf un ! Un seul ! À tous les jeunes parents, je supplie : inscrivez votre fils, votre fille dans un club de sport. Et si possible qu’il pratique le foot, le rugby, le basket, peu importe, mais un sport collectif. Il apprendra autre chose que tirer un coup franc.
Je me souviens du son des crampons sur le carrelage d’un vestiaire. Je me souviens de l’odeur du camphre, huile miracle des avant-matchs. La vie sert à fabriquer des souvenirs. Quand j’anime une émission, je sais qui a joué au tennis ou qui était avant-centre lorsqu’il avait 15 ans. Je devine qui passait la balle et qui ne la rendait jamais. Il faut lire Albert Camus. Il faut aussi l’écouter.
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