
Un long cortège de vans noirs traverse les collines du Piémont. Une pluie fine donne à ce décor verdoyant, plombé par le ciel gris, un faux air de campagne anglaise. Une heure et demie après avoir quitté Milan, les voyageurs découvrent le but de leur déplacement, sur la commune de Valenza, un immense écrin posé sur un plateau, composé de deux ailes reliées entre elles par une imposante passerelle. Deux immenses parallélépipèdes aux lignes effilées, comme dessinés à la pointe d’une mine, l’un noir, l’autre revêtu d’une robe de métal doré aux reflets évoquant les facettes d’une pièce de joaillerie. Une sorte de bijou parfaitement serti dans ce paysage de campagne, frappé des sept lettres de la marque Bvlgari. Dans quelques minutes, Jean-Christophe Babin, son PDG, coupera le ruban inaugurant l’extension de la Manifattura – l’aile dorée – de 19 000 m2, pour un espace total de 33 000 m2 où 1 100 artisans – 1 600 à l’horizon 2029 –, orfèvres, sertisseurs, polisseurs, façonnent les icônes du grand joaillier italien.
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En bas du grand escalier qui accueille les visiteurs, les autorités locales côtoient une centaine de journalistes italiens, français, quelques Chinois et Coréens. L’évêque de Valenza, monseigneur Guido Gallese, salue Laure Guilbault, correspondante française de Vogue Business. Une présentatrice de la télé italienne se fraie un passage entre les maires des communes environnantes ceints de leur écharpe tricolore. Le général Silvio Mele, de la police locale, guette l’arrivée de la ministre déléguée au Commerce et au Made in Italy, Fausta Bergamotto. Outre l’inauguration de l’extension de la manufacture, Bvlgari ouvre les portes de l’école créée sur le site pour permettre de fournir une main-d’œuvre suffisante dans la perspective d’un doublement de la production. Quatre-vingts élèves passeront ici chaque année pour apprendre à maîtriser les technologies de pointe qui facilitent aujourd’hui la fabrication de bijoux ancestraux, avant de passer, pour l’assemblage, le sertissage et le polissage, entre les mains de ceux qui accomplissent les mêmes gestes que leurs aïeux, qui firent naître la griffe dans une petite boutique de Rome, il y a 141 ans.
Dans les couloirs ornés des photos des plus belles représentations de Serpenti, Diva ou B.Zero1, portées par Madonna, Meg Ryan, Dita von Teese, les murs et les sols blancs renvoient la lumière du jour venant de l’atrium, sorte de grande cour carrée qui ramène à l’architecture de la Rome antique. Par-delà de lourdes portes, les artisans s’affairent derrière des postes de travail, avec suffisamment d’espace pour ne pas être gênés dans l’exécution de gestes minutieux, précis. Ouvriers appliqués dont la concentration doit être respectée, d’où le calme monacal qui règne dans l’ensemble du bâtiment. De la Manifattura, plus grande fabrique de joaillerie au monde nichée au cœur de l’Italie, les pièces iconiques seront vendues dans le monde entier.
LVMH prend le contre-pied de la crise
L’investissement est à la (dé)mesure des ambitions de la marque romaine de haute joaillerie : 100 millions d’euros pour l’écrin de Valenza. Alors que la conjoncture mondiale, depuis la crise du Covid, puis la guerre en Ukraine, est soumise à un climat d’incertitude persistant, LVMH prend le contre-pied de la crise. « Le marché est difficile, nous devons garder les yeux grands ouverts, explique Toni Belloni, président Italie du groupe de luxe, mais en restant confiants sur le long terme. Nous investissons sur la qualité et l’excellence. » Malgré les turbulences des premiers jours de la présidence Trump, Jean-Christophe Babin considère que la performance de Bvlgari reste un succès : « En 2023, en sortie de Covid, la croissance était presque anormalement élevée après une longue période de restrictions, je considère que dans le contexte actuel, nos performances de 2025 sont encore meilleures que celles de 2023. C’est l’illustration de la résilience propre au groupe LVMH. »
Pour les prochains mois, Bvlgari maintient ses ambitions sur les marchés américain et japonais – ce dernier compensant en Asie le repli conjoncturel du marché chinois –, et a identifié deux autres régions au potentiel de croissance exponentiel : l’Inde et la Turquie. Conséquence de la guerre en Ukraine, Istanbul est devenue la ville refuge des importantes diasporas de riches Russes et Ukrainiens qui viennent alimenter la forte croissance économique turque (plus de 4 % en moyenne sur ces trois dernières années). Bordée par la mer Noire et la mer de Marmara, la Turquie a notamment accordé plus de 150 000 visas de long séjour à des familles russes qui peuvent facilement effectuer des allers-retours vers Moscou ou Saint-Pétersbourg, desservis par la Turkish Airlines, quand plus aucune grande compagnie européenne ne dessert la Russie.
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Quant à l’Inde, pays aux 271 milliardaires et à la classe supérieure enrichie par une croissance à plus de 8 % sur 2023 et 2024, Bvlgari y a pris un temps d’avance sur ses concurrents Cartier et Van Cleef. Une cadre de Bvlgari me glisse que la maison mesure déjà à quel point ce nouveau marché est hyperstratégique et prometteur, en restant évasive sur les chiffres.
La pluie ne s’est pas arrêtée, une forêt de pépins noirs se déploie devant l’extension couleur or de la Manifattura. Jean-Christophe Babin coupe le ruban inaugural, en présence de la ministre du Made in Italy, sous le crépitement des flashs. L’évêque de Valenza applaudit, avant de se mettre à l’abri à l’intérieur, pour célébrer cette naissance, une coupe de champagne à la main.
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