Le souverain pontife règne sur un royaume de près de 1,3 milliard de fidèles, en faisant la première communauté religieuse au monde. C’est peu dire qu’il a donc, depuis le Vatican, un rôle fondamental et majeur dans la vie de près d’un huitième de l’humanité. Le pape est clairement au cœur des affaires du monde occidental — mais pas seulement, voire de moins en moins. Chaque nouvelle élection papale revêt donc un enjeu majeur du point de vue politique et géopolitique.
En effet, l’élection du pape est bien plus qu’un événement religieux : elle constitue un moment clé sur la scène internationale. Depuis l’accession de Jean-Paul II au trône de Saint-Pierre en 1978, chaque conclave a eu des répercussions majeures sur l’équilibre géopolitique mondial. La papauté, en tant qu’institution diplomatique et spirituelle influente, s’est imposée comme un acteur incontournable des relations internationales.
Chaque conclave a eu des répercussions majeures sur l’équilibre géopolitique mondial
L’Église catholique, forte du nombre de ses fidèles et d’un réseau diplomatique étendu (183 États entretiennent des relations avec le Saint-Siège), joue un rôle stratégique dans de nombreuses crises et enjeux globaux. Depuis Jean-Paul II, les choix des cardinaux électeurs reflètent souvent une prise de position sur des dynamiques politiques et sociales majeures.
Jean-Paul II : l’artisan de la chute du rideau de fer
L’élection de Karol Wojtyła, premier pape non italien depuis des siècles et premier d’origine slave, a marqué un tournant géopolitique. Son engagement contre le communisme, notamment en soutenant le syndicat polonais Solidarność, a contribué à l’effondrement du bloc soviétique. Son influence en Europe de l’Est a mis en difficulté les régimes communistes, et son alliance implicite avec des figures comme Ronald Reagan a inscrit son pontificat dans une stratégie occidentale de confrontation avec l’URSS.
L’élection de Jean-Paul II n’était pas anodine : elle répondait à un contexte où l’Église entendait se positionner comme un acteur de résistance face aux régimes athées et oppressifs. Sa stature charismatique a redonné à la papauté une influence politique considérable, faisant du Vatican un acteur clé de la guerre froide.
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Benoît XVI : la défense de l’identité chrétienne en Occident
L’élection de Joseph Ratzinger en 2005 s’est déroulée dans un contexte post-11 septembre, marqué par des tensions entre l’Occident et le monde musulman, ainsi que par une crise identitaire en Europe. Son pontificat a été marqué par une volonté de défendre les racines chrétiennes de l’Europe et de répondre à la montée du relativisme culturel et du sécularisme.
Le pontificat de Benoît XVI a été marqué par une volonté de défendre les racines chrétiennes de l’Europe
Benoît XVI a aussi cherché à repositionner l’Église dans le dialogue avec l’islam, mais non sans heurts, notamment après son discours de Ratisbonne en 2006, qui a suscité des tensions avec plusieurs pays musulmans. Son élection traduisait une volonté des cardinaux de recentrer l’Église sur ses fondements doctrinaux, dans une période de remise en cause des valeurs traditionnelles.
Le pape François : un pape politique dans un monde de plus en plus fragmenté
L’élection du premier pape latino-américain en 2013, Jorge Mario Bergoglio, a marqué un virage vers une Église plus engagée sur les questions sociales et environnementales. Dans un monde multipolaire, en proie aux populismes et aux crises migratoires, François a adopté une posture plus ouverte et critique envers les politiques occidentales, dénonçant le capitalisme sauvage, le nationalisme et la fermeture des frontières.
Sa diplomatie a joué un rôle clé dans plusieurs dossiers. Sur le plan des relations avec Cuba et les États-Unis, il a favorisé le rapprochement entre Washington et La Havane sous l’ère Obama. Concernant la crise migratoire, il a critiqué la politique européenne de fermeture des frontières et plaidé pour un accueil des réfugiés.
L’élection de François répond au glissement du monde vers le Sud
Sur la question climatique, François a fait de l’encyclique Laudato Si’ un manifeste écologique influençant les politiques climatiques mondiales. L’élection de François constitue un virage clair, qui correspond aux transformations en profondeur du monde et à son glissement vers le Sud : elle illustre une volonté d’élargir l’influence de l’Église vers les Suds globaux, là où se trouve aujourd’hui le cœur démographique du catholicisme.
Succession de François : vers une papauté toujours plus géopolitique ?
Chaque élection papale reflète les défis de son époque. Avec un catholicisme de plus en plus décentré vers l’Afrique, l’Amérique latine et l’Asie, le prochain conclave pourrait confirmer cette tendance. Le choix du futur pape ne sera pas seulement une question de foi, mais aussi un message politique au monde. Ainsi, le Vatican reste un micro-État à macro-influence, où le choix d’un homme peut influer sur des conflits, des idéologies et des politiques bien au-delà des murs de la Cité pontificale.
*Sébastien Boussois, Docteur en sciences politiques, chercheur monde arabe et géopolitique, enseignant en relations internationales à l’IHECS (Bruxelles), associé au CNAM Paris (Équipe Sécurité Défense), à l’Institut d’Études de Géopolitique Appliquée (IEGA Paris), au Nordic Center for Conflict Transformation (NCCT Stockholm) et à l’Observatoire Géostratégique de Genève (Suisse).
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