L’annonce de la mort du pape François a bouleversé Chicago, troisième ville des États-Unis, capitale du Midwest et bastion catholique. Avec près de deux millions de fidèles, la communauté catholique y est la plus importante, enracinée dans une tradition d’accueil des migrants. À Chicago, « ville sanctuaire » qui refuse de coopérer avec les autorités fédérales en matière d’expulsions, c’est un pape « proche des marginalisés » que l’on célèbre.
Ici, la diversité catholique a des visages : Irlandais, Polonais — Chicago se targue d’être la deuxième plus grande ville polonaise au monde après Varsovie — et Latinos, toujours plus nombreux avec l’afflux des clandestins. Ce brassage donne à la ville ce visage très particulier du catholicisme américain.
À Portage Park, quartier résidentiel aux allures paisibles, où alternent épiceries polonaises et restaurants de spécialités cubaines et mexicaines, l’Académie mondiale du pape François — l’un des trois lieux aux États-Unis à porter son nom — promeut « diversité et écologie ». Cette école élémentaire, fermée pour cause de vacances de Pâques, fait face à l’église Saint-Pascal, où le drapeau américain a été mis en berne. Un registre de deuil a été ouvert devant l’autel, à l’initiative des paroissiens. Jessie, la sacristine, s’y est rendue dès l’annonce de la mort du pape. Elle s’est agenouillée pour prier. Quand on évoque François, elle étouffe un sanglot. « Il aimait les pauvres, les indigents. Notre paroisse accueille beaucoup d’étrangers. C’est vrai, il était vu comme un progressiste. Bien plus que Benoît XVI. »
Le mot « progressiste » fait encore grincer des dents. Dans l’Amérique de Trump, certains n’ont jamais accepté la ligne sociale du pape. La frange la plus dure du mouvement MAGA voyait en lui une figure aux accents quasi marxistes. La députée républicaine Marjorie Taylor Greene, visage de l’aile radicale trumpiste, a choqué hier jusque dans son propre camp. Sur X, elle a tweeté : « Des changements majeurs ont eu lieu dans la direction du monde. Le mal a été vaincu par la main de Dieu. »
La frange la plus dure du mouvement MAGA voyait dans le pape François une figure aux accents quasi marxistes
François et Trump n’étaient pas en bons termes. Le souverain pontife a systématiquement critiqué la politique migratoire du président, s’en prenant frontalement au mur à la frontière mexicaine. « Un chrétien ne construit pas de murs, il construit des ponts », avait-il lancé. En retour, Trump avait qualifié de « honteux » le fait que le pape puisse remettre en question sa foi. En meeting, il se plaisait à rappeler, non sans sarcasme, que le Vatican était lui-même ceint de murs. En février 2016, sur Fox News, il lançait : « Quand le Vatican sera attaqué par l’État islamique, le pape sera reconnaissant que Donald Trump ait été président. »
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François n’a visité les États-Unis qu’une seule fois, en 2015, à l’invitation de Barack Obama. Il avait participé à la Rencontre mondiale des familles à Philadelphie, puis s’était exprimé devant le Congrès à Washington, une première pour un pape. Ce jour-là, il avait pris la défense des migrants : « Nous ne devons jamais avoir peur d’être confrontés à eux. Ce sont nos frères et sœurs, cherchant une vie meilleure. » Un discours acclamé par les démocrates, mais fraîchement accueilli par les républicains.
À Chicago, le pape François a laissé une empreinte profonde
À Chicago, le pape François a pourtant laissé une empreinte profonde. En 2014, il y nomme Blase Joseph Cupich archevêque de la ville, puis le fait cardinal en 2016. Figure centrale du catholicisme américain, Cupich partage avec François une approche fondée sur la miséricorde pastorale, très éloignée du rigorisme doctrinal. En janvier dernier, il avait pris la parole contre les projets de déportation de migrants : « Ces actions seraient profondément perturbantes. Elles blesseraient les communautés. »
La messe officielle d’hommage aura lieu demain à la cathédrale du Saint-Nom, bâtisse néogothique monumentale du quartier financier, autrefois théâtre des règlements de compte de la pègre d’Al Capone pendant la prohibition. Mais c’est dans l’imposante église Saint-Clément que s’est tenue hier soir la première messe commémorative. Érigé entre 1917 et 1918 dans le style byzantin, l’édifice, avec son étonnant dôme, s’inspire de la basilique Sainte-Sophie de Constantinople. Il trône au cœur de Lincoln Park, quartier huppé (et blanc) où la moindre petite maison dépasse le million de dollars et où une part de pizza dépasse les 10 dollars. Hier, le tout-Chicago blanc et démocrate s’y est rassemblé pour prier.
Donald Trump a, lui, confirmé sa présence aux funérailles, aux côtés de son épouse Melania. Sur son réseau Truth Social, son message, jugé déplacé par certains fidèles, se voulait enthousiaste : « Nous avons hâte d’y être ! » Judy, paroissienne, fulmine : « Tout est résumé dans sa façon de formuler ça. Ce n’est pas un pèlerinage, c’est une opération politique. »
Dans cette paroisse chic, les fidèles se veulent accueillants. « François voulait qu’on ouvre son cœur, qu’on accueille la diversité et qu’on ne détourne pas le regard », rappelle Judy. « Le message de François, c’est celui de Chicago : ici, vous êtes les bienvenus », ajoute Kathryn, une autre fidèle.
Sarah, la trentaine, voit dans la mort du pape, survenue au lendemain de Pâques, une coïncidence troublante. La veille, François avait reçu le vice-président J.D. Vance, converti au catholicisme. « Et si c’était le signe qu’on allait avoir un pape américain ? », lance-t-elle.
« Le message de François, c’est celui de Chicago : ici, vous êtes les bienvenus »
Et pourquoi pas un pape de Chicago ? Dans les médias et sur les sites de paris en ligne, le nom du cardinal Robert Francis Prevost circule. Né à Chicago en 1955, religieux augustinien, il a été nommé par François préfet du Dicastère pour les évêques et président de la Commission pontificale pour l’Amérique latine. Proche de la ligne du défunt pape, il affiche un profil résolument pastoral, plus que doctrinal. Sa jeunesse relative (il est né en 1955), sa maîtrise de l’italien, du français, de l’espagnol — et bien sûr de l’anglais — jouent en sa faveur. Seul obstacle : être américain. Le poids symbolique d’un pape issu de la première puissance mondiale peut rebuter. Sauf si l’on décide, au sommet de l’Église, de faire de ce Chicago un contrepoids spirituel et politique à Donald Trump.
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