À la différence de ses prédécesseurs, le pape François reposera désormais sur le côté gauche de la basilique Sainte-Marie-Majeure, qu’il affectionnait particulièrement puisqu’il s’y rendait avant chacun de ses voyages pour confier son déplacement à la Madone, et y revenait à son retour pour la remercier. Comme un écho de ses années d’enfance, dans le quartier populaire de Flores, à Buenos Aires, malmené par la Grande Dépression des années 1930, où l’on se passionne pour le football et où le jeune Jorge Mario est marqué par sa grand-mère, Rosa, et par un prêtre ami de la famille, le père Enrique Pozzoli, un salésien qui applique les méthodes d’éducation populaire de Don Bosco.
Il en gardera une forte dévotion à la Vierge Marie, à saint Joseph et au Sacré-Cœur de Jésus : autant d’expressions de cette piété populaire qui constitue une trame de fond de son pontificat. C’est-à-dire une forme de foi très simple et familière, « antithèse du sécularisme et de la mondanisation » où la foi se dilue, à l’inverse, dans des préoccupations trop terrestres.
La formation « militaire » des jésuites
Sa vocation, Jorge Mario la tient d’une rencontre avec un prêtre, le 21 septembre 1953, après qu’il s’est senti poussé à entrer dans une église et confessé. Il en ressort avec la conviction qu’il doit entrer dans les ordres. Ce sera chez les jésuites, car dans cette congrégation très structurée, il trouve le cadre dont il a besoin. « J’étais attiré, racontera-t-il, parce que dans la Compagnie il y avait un langage militaire, qu’il y avait un climat d’obéissance et de discipline. Et parce qu’elle était tournée vers le devoir missionnaire. Je voulais être missionnaire au Japon. » Mais ses autorités l’en empêchent en raison de ses problèmes de santé : à 21 ans, il faillit mourir d’une épidémie de grippe asiatique qui avait fait des millions de morts, et on avait dû lui enlever un lobe du poumon droit.
La formation au séminaire puis au noviciat de la Compagnie de Jésus est assez poussée, mais déjà la période est marquée par les troubles post-concile Vatican II (1962-1965). Sur les photos de l’époque, les séminaristes ne portent plus la soutane. Le 13 décembre 1969, il est ordonné prêtre. Il a 33 ans. Trois ans plus tard, il devient le plus jeune provincial – responsable – des jésuites d’Argentine. C’est une progression spectaculaire, avec un rôle encore difficile à déchiffrer au milieu des divisions du clergé, séduit par la fameuse théologie de la libération teintée de marxisme. Avec aussi, sur le plan politique, l’agitation due au péronisme argentin, du nom de son dirigeant Juan Peron, une sorte de populisme de gauche dont Bergoglio fut proche.
Ce qui est sûr en revanche, c’est que sa manière de gouverner est très autoritaire, seul moyen de maintenir l’unité de la Compagnie qui traverse sa crise la plus grave. François le reconnaîtra lui-même en 2013 : « Il me fallait affronter des situations difficiles et je prenais mes décisions de manière brusque et individuelle […] Ma manière autoritaire et rapide de prendre des décisions m’a conduit à avoir de sérieux problèmes et à être accusé d’ultraconservatisme […] Mais je n’ai jamais été conservateur », explique-t-il.
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Cet autoritarisme lui vaut une traversée du désert dans les années 1980, après avoir une nouvelle fois frôlé la mort en 1979, à cause d’une inflammation sanguine. Il reprend son travail universitaire, se rend en Allemagne pour terminer sa thèse – sans la finir –, puis rentre en Argentine, enseigne, fait de la direction spirituelle… Une période qu’il considère a posteriori comme une phase de purification, déterminante pour ses ministères ultérieurs. En 1992, Jean-Paul II le nomme évêque auxiliaire de Buenos Aires, dont il devient archevêque en 1998, puis cardinal en 2001. Il se distingue par son souci des pauvres et sa proximité avec les fidèles. Il doit aussi faire face à la sécularisation accélérée de la société argentine.
Un style très libre
En 2005, lors du conclave pour succéder à Jean Paul II, il se dit que le cardinal Bergoglio a réuni les suffrages d’un nombre certain de cardinaux. Mais c’est l’Allemand Joseph Ratzinger qui est élu, le futur Benoît XVI. Deux ans plus tard, l’Argentin dirige la rédaction du « Document d’Aparecida », un texte essentiel pour l’Amérique latine qui remet à l’honneur la piété populaire de son enfance. Huit ans plus tard, François monte sur le trône pétrinien. Il marque alors les esprits par son style très libre, direct – « Celui qui ne prie pas le Seigneur prie le diable » –, et par son apparente simplicité : il serre la main des gardes suisses, contre tout protocole, refuse de loger dans les appartements de l’antique Palais apostolique du Vatican pour lui préférer la moderne Maison Sainte-Marthe.
En douze ans de pontificat, il aura effectué 47 voyages apostoliques
Pétri de spiritualité française
De la même façon, trois jours après avoir été élu, il remet dans un discours aux journalistes la charge de souverain pontife à sa juste place dans l’Église : « Le Christ [en] est le centre, non le successeur de Pierre. » Et affiche sa volonté de décentrer l’Église, qu’il conçoit comme un « hôpital de campagne » destiné à aller chercher la brebis perdue aux « périphéries » d’un monde fracturé. En douze ans de pontificat, il aura ainsi effectué 47 voyages apostoliques, soit, proportionnellement, presque autant que Jean-Paul II en vingt-cinq ans.
Mais François n’a cependant jamais effectué de visite d’État en France. Par préférence pour les zones oubliées de l’actualité et aussi, sans doute, par incompréhension de la fameuse « laïcité à la française », très restrictive. Car il est paradoxalement pétri de spiritualité française, celle de sainte Thérèse de Lisieux notamment. L’histoire retiendra cependant que son dernier déplacement aura été pour la Corse, où il dénonça le danger de « privatisation de la foi » et promut une laïcité ouverte entre les autorités civiles et ecclésiastiques. Lors d’une précédente visite au Parlement européen de Strasbourg, en 2014, il avait de même affirmé que l’avenir de l’Europe dépendait de « la redécouverte de ce lien vital » entre le Ciel et la Terre. Comme un testament pour l’Europe tout entière.
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