Alors que les cloches de la basilique Saint-Pierre résonnent en hommage au pontife défunt, les regards se tournent vers la chapelle Sixtine où, dans quelques jours, les cardinaux réunis en conclave éliront le 267e pape. Pour le milliard et demi de catholiques à travers le monde, ce moment revêt une importance capitale. Successeur de l’apôtre Pierre, le pape est la plus haute autorité spirituelle de l’Église. Gardien de la foi, interprète de la doctrine et garant de l’unité des croyants, il en définit les grandes orientations.
Or l’Église traverse actuellement une période de turbulences et doit relever des défis de taille : dans de nombreux pays occidentaux, la pratique religieuse s’effrite, les vocations sacerdotales se raréfient, tandis que la crise des abus sexuels a profondément entamé sa crédibilité. Elle doit aussi affronter les persécutions des chrétiens d’Orient et les restrictions imposées à ses communautés en Chine, tout en accompagnant l’essor du catholicisme en Afrique, qui redéfinit les équilibres du monde catholique. À cela s’ajoutent les tensions internes entre progressistes et conservateurs, divisés sur de nombreux points doctrinaux et le mode de fonctionnement de l’institution.
Une question domine alors toutes les autres : le prochain souverain pontife s’inscrira-t-il dans la continuité des réformes engagées par François, ou marquera-t-il un retour à une ligne plus traditionnelle ? L’issue du conclave suscite d’autant plus d’interrogations que le choix du futur pape revient aux 135 cardinaux âgés de moins de 80 ans, dont près de 80 % ont été nommés par François, constituant ainsi une majorité théorique supérieure aux deux tiers requis pour élire le futur pape. Certains y ont vu une manœuvre du pape argentin pour orienter le choix de son successeur vers une figure proche de sa ligne et capable d’en prolonger l’action.
« L’histoire de l’Église montre que la nomination des cardinaux ne scelle pas l’orientation du pontificat, rappelle pourtant l’écrivain américain George Weigel, auteur du livre Le prochain pape (Parole et silence). Pie X a été élu par des cardinaux désignés par Léon XIII, mais n’a pas poursuivi ses initiatives audacieuses. En 1958, ceux nommés par Pie XI et Pie XII ont choisi Jean XXIII, qui a conduit l’Église à un concile œcuménique que Pie XI et Pie XII avaient envisagé de convoquer avant d’en rejeter l’idée. En 2013, une majorité d’électeurs issus de Jean-Paul II et Benoît XVI ont porté au pouvoir François qui, loin de suivre leur ligne, a patiemment déconstruit une partie de leur héritage. »
Des nominations stratégiques
Et au-delà des cardinaux électeurs, ceux qui ont dépassé la limite d’âge jouent également un rôle non négligeable lors des congrégations générales qui précèdent l’entrée en conclave. Ces réunions, rassemblant l’ensemble des cardinaux, permettent d’échanger sur les défis de l’Église et le profil du futur pape. Une étape clé où émergent des tendances et des dynamiques susceptibles d’influencer le vote. Or sur les 117 cardinaux non électeurs, un tiers seulement a été nommé par François.
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De son côté, un observateur du Vatican relève que les cardinaux nommés par François ne sont pas nécessairement en totale adéquation avec sa ligne. « Beaucoup ont pris du recul sur certains aspects de sa gouvernance, remarque-t-il plus largement, citant notamment la synodalité, censée renforcer la participation des fidèles dans la conduite des affaires de l’Église. Malgré l’importance qui lui a été accordée, son application s’est heurtée à un exercice du pouvoir resté très centralisé. En outre, face à certaines prises de position perçues comme ambiguës, ils estiment qu’il est temps de donner une orientation plus claire à l’Église. »
Mais il n’écarte pas pour autant la dimension stratégique des nominations cardinalices effectuées par le pape, ni leur possible influence sur l’issue du conclave. « Il est indéniable que l’on vote plus facilement pour quelqu’un que l’on connaît. Or, les cardinaux qu’il a nommés sont dispersés à travers le monde et ont eu peu d’occasions de se rencontrer ces dernières années, d’autant que les réunions régulières au sein des dicastères ont disparu. Dans un Collège des cardinaux fragmenté, il est plus facile d’imposer un favori en le présentant comme le successeur idéal », analyse-t-il. Cette figure de référence a d’ailleurs changé au fil du temps.
D’abord incarnée par le Philippin Luis Antonio Tagle, préfet du dicastère pour l’Évangélisation, elle s’est portée sur l’Italien Matteo Zuppi, archevêque de Bologne et président de la Conférence épiscopale italienne, avant que le Luxembourgeois Jean-Claude Hollerich, archevêque de Luxembourg et rapporteur général du Synode sur la synodalité, ne s’impose. Trois cardinaux souvent associés au courant réformateur et progressiste de l’Église.
Pour permettre aux cardinaux de mieux se connaître et éclairer leur discernement, deux vaticanistes anglo-saxons, Edward Pentin et Diane Montagna, ont créé le site The College of Cardinals Report. Une grille détaille leur âge, leur statut (électeurs ou non), leur pays d’origine, le pape qui les a nommés (Jean-Paul II, Benoît XVI ou François), ainsi que leurs positions sur des questions sensibles : ordination des femmes diacres, bénédiction des couples de même sexe, célibat des prêtres ou encore célébration de la messe en rite traditionnel.
Plusieurs noms cités
Le site dresse également une liste de 22 « papabili », ces cardinaux considérés comme de sérieux candidats au trône pontifical. Ces derniers mois, plusieurs noms reviennent avec insistance. Parmi eux, des figures proches de la ligne du pape François, comme le secrétaire d’État du Vatican Pietro Parolin (Italie), Luis Antonio Tagle (Philippines), Matteo Zuppi (Italie) et Mario Grech (Malte). À l’inverse, des profils plus conservateurs sont également cités : Fridolin Ambongo Besungu (Congo), Wim Eijk (Pays-Bas), Péter Erdo (Hongrie) et Raymond Burke (États-Unis).
Ancrés dans la tradition de l’Église depuis le XIVe siècle, ces pronostics, fondés sur l’influence, l’expérience et la perception politique des cardinaux, sont-ils fiables ? Selon l’adage romain : « Qui entre au conclave en pape en ressort cardinal. » George Weigel nuance toutefois ce dicton, rappelant que certaines élections, comme celles de Pie XII et de Benoît XVI, avaient été anticipées. Mais l’issue d’un conclave repose aussi sur des compromis et peut réserver son lot de surprises. Jean-Paul II, par exemple, était peu connu du grand public et ne figurait pas parmi les favoris. De même, si Bergoglio (futur pape François) était apparu comme un challenger face à Benoît XVI en 2005, il était écarté des pronostics en 2013, où beaucoup misaient sur le cardinal Scola.
Qui pour diriger l’Église de demain ? « Le prochain pape devra avant tout préserver l’unité de l’Église et restaurer la clarté du magistère, estime notre observateur. Il lui faudra aussi inscrire son pontificat dans une continuité, en lien avec l’héritage de ses prédécesseurs tout en préparant l’avenir. » Pour George Weigel, « il y a un grand besoin d’ordre dans l’Église et le prochain pape ferait bien de le reconnaître »
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