Les bus scolaires sont restés au dépôt ; certains, capot ouvert, profitent d’une révision. Sur les plages d’Atlantic Avenue, les enfants goûtent aux premiers bains de mer de la saison et font des châteaux de sable le long des planches d’Oceanfront. Avec 450 000 habitants, Virginia Beach a des airs de gigantesque Grande-Motte. Les écoliers des 86 écoles de la plus grande ville de Virginie sont en vacances. Au contraire des politiques locaux.
À 200 kilomètres au sud de Washington, ils viennent d’offrir à Donald Trump une victoire. Le conseil scolaire de la ville a voté l’abandon des politiques de diversité, d’équité et d’inclusion, connues sous le sigle DEI. C’était l’une des promesses du républicain : Virginia Beach vient de franchir le pas en suspendant ce symbole de la bien-pensance.
Avaient-ils le choix ? Les élus locaux du conseil scolaire ont reculé sous la menace d’une directive émise par l’administration Trump promettant de supprimer des financements fédéraux aux districts scolaires qui refuseraient d’éliminer leur programme DEI, soit, pour Virginia Beach, plus de 74 millions de dollars permettant de sauver, notamment, les subventions aux repas des cantines. Mais cet abandon n’a pas que de motivations financières. La Virginie, en matière de délire inclusif, revient de loin.
Remplacer l’instruction par l’idéologie
Au Parti républicain local, on se félicite de ce succès. Venue payer sa cotisation, Sarah, mère de deux enfants, semble soulagée : « Il était temps de tourner la page de cette folie ! Ça paraît fou de devoir dire que l’école est faite pour enseigner les bases – lire, écrire, compter. » Derrière le bureau à encaisser les chèques, Marie Dottino paraît délestée de ses inquiétudes. « J’ai une petite-fille de 5 ans. Ses parents l’avaient inscrite dans le public en maternelle. Quelques jours après la rentrée, elle jouait à reconstituer sa famille avec des figurines. Il y avait la poupée qui représente la maman… On lui a demandé : ‘‘Et il est où le papa ?’’ Et là, elle nous a répondu : “Papa, c’est un mauvais mot, les papas sont méchants”, raconte cette grand-mère. Inutile de vous dire qu’on l’a inscrite dans le privé catholique après seulement une semaine. Mais voilà, c’est ça l’état d’esprit : remplacer l’instruction par l’idéologie et, si possible, faire en sorte de déprécier notre histoire et nos valeurs. »
« Ça paraît fou de devoir dire que l’école est faite pour enseigner les bases – lire, écrire, compter »
Le Commonwealth de Virginie a eu, sous Biden, la fâcheuse habitude de défrayer la chronique. En 2021, les parents des écoles publiques du comté de Loudoun, non loin du Maryland, avaient manifesté contre l’enseignement de la théorie critique de la race… Les enfants blancs apprenaient que leurs ancêtres avaient été des oppresseurs. Ce qui n’est pas rien en Virginie, épicentre de la guerre civile américaine, où toute trace de l’histoire des confédérés est méticuleusement effacée. Dans ce même comté, le militantisme transgenre avait été source d’un conflit retentissant, le conseil scolaire ayant tenté de dissimuler une agression sexuelle commise par un adolescent transgenre dans les toilettes d’une école.
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En 2022, le conseil scolaire de la ville de Fairfax, non loin de Washington, avait voté une résolution excluant les élèves dès l’âge de 9 ans pour « mauvais usage des pronoms », une infraction appelée « mégenrisme ». En clair, si un enfant estimait qu’il était une fille, ses petits camarades ne pouvaient plus en parler en utilisant le pronom « il ». Au nom de la lutte contre les discriminations fondées sur l’« identité de genre » ou l’« orientation sexuelle », les conseils scolaires les plus progressistes de Virginie finissaient par intimider les parents eux-mêmes. À Roanoke, à l’occasion de festivités LGBTQ de 2023, les écoles avaient décoré de drapeaux arc-en-ciel les classes et les cours de récréation.
Là aussi, certains parents avaient résisté, allant jusqu’à porter plainte contre le conseil scolaire local. Dans ce purple state (un État qui peut aussi bien voter démocrate que républicain), ces guerres scolaires ont une incidence énorme. La Virginie votera pour un nouveau gouverneur en 2025, le républicain Glenn Youngkin ne pouvant se représenter après son unique mandat de trois ans. Kamala Harris, populaire dans les banlieues chics et noires de Washington, avait fait mieux que Trump. Mieux également sur tout Virginia Beach où elle le devançait de 2 %.
Détruire la cellule familiale
Dans cette ville balnéaire, les républicains ont bien conscience que le mouvement Maga a remporté une manche, mais pourrait perdre la suivante dès le mois de septembre, soit au moment de la rentrée des classes. « Je ne me fais pas tellement de soucis pour mes petits-enfants qui sont mentalement équipés d’un bouclier anti-conneries. Mais plutôt pour la nation, témoigne Roland Weaver, un ancien militaire de l’US Navy de 66 ans, sosie de John Wayne et membre du Parti républicain local. Tout cela, c’est du communisme. On commence avec l’avortement puis avec ces programmes de diversité et d’inclusion et on finit par détruire la cellule familiale. Ce que le DEI introduit dans la tête des jeunes gâche leur vie, gâche notre pays. Ils ne deviendront jamais véritablement productifs et ambitieux, capables de se marier, d’élever des enfants et de bien gagner leur vie. Pour qu’une nation soit forte, il faut que son épine dorsale, la jeunesse, donc, le soit aussi. »
« Les temps ont changé, il faut couper le gras directement sur l’os. Et Trump le fait »
Le mouvement Maga oserait faire ce que d’autres républicains n’osaient pas accomplir. « J’aimais bien Reagan, c’était quelqu’un de poli, de mesuré. Mais les temps ont changé, il faut couper le gras directement sur l’os. Et Trump le fait. C’est ainsi que nous reviendrons aux sources. »
Un nouveau département scolaire
La communauté éducative et les parents d’élèves de Virginia Beach ne sont pourtant pas naïfs. Le DEI a certes été supprimé mais les membres du conseil scolaire ont accouché à la place d’un Département des opportunités et de la réussite, sans trop savoir ce que les enseignants y mettront. Le plan d’équité 2022-2025 est, a priori, jeté à la poubelle. Ce guide des bonnes intentions, avec objectifs, graphiques et photos dignes de publicités Benetton des années 1980, prévoyait notamment de mettre en valeur « les réussites des minorités et des différents genres ». La puissante Association nationale pour la promotion des gens de couleur (NAACP) et l’Union américaine pour les libertés civiles multiplient les réunions et les apparitions en conseil municipal, craignant que « cette mesure nuise aux programmes multiculturels et envoie un message négatif aux élèves issus de minorités ». Le conseil scolaire s’est enfermé dans le mutisme, profitant de cette période pascale pour se faire oublier.
Si les élèves américains maintiennent un rang honorable en lecture (le 6e selon le classement Pisa), leurs capacités en calcul se sont effondrées ces dernières années, les classant 26e des pays de l’OCDE. La rentrée des classes devrait privilégier les fractions aux pronoms.
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