« Ça fait scandale et je comprends pourquoi ! » Le Sentier est à son tour touché par le crack. Ce mercredi 23 avril, alors que certains se rendent au travail et que d’autres emmènent leurs enfants à l’école sous une pluie battante, les habitants de ce quartier central du 2e arrondissement de Paris peinent à cacher leur mécontentement. Derrière les vitres opaques d’un établissement de la rue de Cléry se trouve un Centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (Caarud).
Des consommateurs de crack y sont accueillis chaque jour depuis le mois d’octobre dernier. Après leur prise en charge, une grande partie d’entre eux errent ensuite dans le secteur. « Ils traînent souvent plus loin, sur les marches de la rue des Degrés ou près de la librairie Boulinier », déplore Nathalie, qui réside dans cette rue calme depuis de nombreuses années. Selon la sexagénaire, ces toxicomanes sont « très virulents » : « On voit des choses qu’on n’aurait jamais pensées dans ce quartier… »
Leur présence a causé de graves problèmes de sécurité : violences, vols, agressions… « J’ai assisté à des bagarres en pleine rue. Des junkies ont aussi voulu entrer dans un hall d’immeuble à côté. Tous les jours, il y a quelque chose », pointe un riverain. La laverie, située en face, a même dû engager un agent de sécurité et est contrainte de fermer la nuit. Des drogués avaient en effet investi les lieux et se battaient entre eux. De quoi faire fuir les clients…
Patrouilles de police
Après plusieurs incidents, les patrouilles de police se font plus fréquentes. « Je vois mon quartier changer d’années en années », constate un habitant, tandis qu’une autre a modifié ses habitudes : « Je ne sors plus après 20 heures. Je promène mon chien rapidement le soir et je rentre vite chez moi. »
« Un père de famille s’est fait tabasser devant ses enfants il y a un mois », explique au JDD Aurélien Véron, porte-parole du Groupe Changer Paris. L’élu Les Républicains (LR) redoute désormais une affluence de drogués dans ce secteur pourtant paisible : « Avant, trois ou quatre toxicomanes se baladaient rue de Cléry, ce n’était pas sympathique, mais on ne les voyait pas beaucoup. Maintenant, ils sont 30 voire 40. On risque d’en avoir 50 à 60 d’ici quelques mois. »
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Aurélien Véron fustige également le fait que des Caarud soient implantés dans le centre de la capitale, à proximité directe d’habitations : « Cela devient des pôles d’attraction. Tous les “crackeux” se précipitent vers les Caarud. » Une pétition a été lancée par des habitants et a déjà réuni près de 1 500 signatures.
Les « crackeux » éparpillés dans Paris
Si le Sentier est l’un des derniers secteurs touchés par les consommateurs de crack, les toxicomanes se sont dispersés dans la capitale au fil des ans et des démantèlements successifs de campements. Un an après l’engagement d’un nouveau plan crack en Île-de-France, la mairie de Paris et l’État s’étaient vantés, dans un communiqué commun, début février, d’un « apaisement de l’espace public » dans le nord-est de Paris.
Pourtant, les toxicomanes sont toujours présents. « Depuis le démantèlement du square de Forceval le 5 octobre 2022, le problème s’est disséminé un peu partout dans Paris tout en restant fixé dans certains coins de la porte de la Villette », explique Stéphanie Benoist, porte-parole de l’association Villette Village, citant notamment la place Auguste Baron ou le quartier de Rosa-Parks.
Les riverains de ce secteur en bordure de Paris, près d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), sont à bout. Stéphanie Benoist, qui habite le quartier de la Villette, se rendait régulièrement dans la forêt linéaire située derrière le cinéma UGC de Rosa-Parks. « C’était mon trajet de balade mais, encore une fois, il a fallu que j’en change. C’est toujours à nous de nous adapter, de modifier nos trajets pour aller au travail, à un rendez-vous ou tout simplement pour profiter du quartier dans lequel on vit. »
« Ils finissent toujours par revenir »
Dans le secteur de La Chapelle, les « crackeux » se mêlent aux vendeurs à la sauvette et aux prostituées. Ce triangle du 18e arrondissement, qui englobe la porte de la Chapelle et les jardins d’Éole entre autres, est en effet gangrené par la violence en lien avec des trafics de cigarette. Les rixes entre communautés sont aussi monnaie courante.
Au début du mois de mars dernier, une bagarre a éclaté entre vendeurs à la sauvette de nationalité afghane près d’une station de métro. L’un des individus a été blessé de plusieurs coups de couteau. Mi-septembre, un autre affrontement au couteau et à la machette avait déjà été perpétré en pleine rue à La Chapelle, faisant sept blessés.
Ces violences à répétition, jointes aux agressions commises par des drogués, exaspèrent les habitants. « C’est vraiment la déchéance humaine. Les fumeurs de crack sont prêts à tout pour avoir leur dose, y compris à vous agresser pour obtenir quelques euros », dénonce Cathy, qui habite depuis plus de dix ans près de la station Marx-Dormoy. Face à ces « zombies qui errent dans les rues », cette Parisienne ne cesse n’hésite pas à changer de trottoir ou à faire un détour.
Le quartier a toutefois tenté une métamorphose avant les Jeux olympiques 2024. Les forces de l’ordre ont multiplié les évacuations de campements illégaux, déplaçant des centaines de migrants en dehors de la capitale à l’approche de la compétition sportive. « J’ai constaté une réelle évolution depuis les JO, à la porte de la Chapelle. Le quartier semble avoir été “nettoyé” », poursuit l’habitante auprès du JDD. Toutefois, la jeune femme ne crie pas victoire pour autant : « Ils ont été déplacés, mais ils finissent toujours par revenir… »
Le sevrage forcé, la seule solution ?
« Il faut qu’on entre dans une démarche de sevrage forcé », plaide de son côté Aurélien Véron, qui évoque une « hospitalisation d’office décidée par un juge avec un médecin ». Un tel procédé nécessiterait toutefois de créer de nouvelles places dans les hôpitaux psychiatriques. Après ce sevrage forcé, les personnes en désintoxication devraient résider dans un centre spécialisé durant trois à six mois.
« Aujourd’hui, les Caarud ne font quasiment plus que de la prévention des risques et n’orientent presque plus vers les soins, estimant qu’il faut respecter la volonté de la personne. On voit bien que ça ne fonctionne pas », insiste-t-il. Cependant, cette procédure ne porterait pas ses fruits à court terme. Selon Aurélien Véron, « les toxicomanes ont tendance à retomber dans la drogue après leur premier sevrage. Il faut donc répéter l’opération deux à trois fois pour que la personne soit désintoxiquée ».
Dans l’attente de solutions pérennes, l’élu parisien demande la fermeture du Caarud de la rue Cléry. Il prévoit d’ailleurs d’aborder le sujet et de proposer la méthode du sevrage forcé à l’un des prochains conseils de Paris. Contactée par le JDD, la mairie de Paris, elle, n’a pas répondu à nos sollicitations.
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