L’emprisonnement de Boualem Sansal depuis novembre 2024 dans les geôles algériennes illustre l’accélération de la répression du gouvernement d’Abdelmadjid Tebboune. Mais l’écrivain franco-algérien est loin d’être le seul à subir ce triste sort. De nombreux artistes, chanteurs, poètes, écrivains ou encore dessinateurs ont été ou sont encore embastillés. Leur crime ? User de leur liberté dans le cadre de leur travail artistique.
En mars 2024, la chanteuse franco-algérienne Djamila Bentouis a elle aussi subit les foudres d’Alger. La raison : une chanson qu’elle avait composée en 2019 pendant le mouvement de contestation du Hirak – une série de manifestations de grande ampleur contre le pouvoir algérien. Âgée de 60 ans à l’époque et mère de trois enfants, l’artiste avait atterri à Alger afin de faire ses adieux à sa mère mourante.
Comme Boualem Sansal, elle a été arrêtée à l’aéroport avant d’être placée en détention le 3 mars. Poursuivie pour « appartenance à une organisation terroriste active à l’intérieur et à l’extérieur du pays », « atteinte à la sécurité et à l’unité nationale » et « incitation à attroupement non armé », elle avait dénoncé dans une chanson les arrestations et la répression qui s’étaient abattues sur les activistes du mouvement. Elle a été condamnée à deux ans de prison ferme et à 100 000 dinars d’amende. Selon l’ONG indépendante SHOAA, Djamila Bentouis a été libérée en décembre 2024 après avoir purgé une partie de sa peine.
Les chanteurs de raï dans le viseur
Récemment, les autorités algériennes ont dans le viseur les chanteurs de raï, un genre musical algérien. Le 16 avril 2025, l’interprète Cheb Hindi a été arrêté à Oran pour « atteinte à l’unité nationale » et « incitation à la haine » – les mêmes chefs d’inculpations que Boualem Sansal. Selon l’écrivain algérien Kamel Daoud, les « raïmen » font l’objet de poursuites dans tout le pays. Celui qui a remporté le prix Goncourt 2024 cite dans Le Point les cas de Cheb H’bib Mimoun, également arrêté à Oran en mars dernier, ou encore celui de Cheb Kimo.
Le poète algérien Mohamed Tadjadit est, lui, toujours incarcéré en Algérie. Il subit un harcèlement judiciaire depuis sa première arrestation en 2019 pour avoir clamé des poèmes lors des manifestations du Hirak. En janvier 2025, il a été condamné à cinq ans de prison après avoir relayé un hashtag (« Je ne suis pas satisfait ») critiquant le pouvoir algérien sur les réseaux sociaux. L’influenceur Doualemn, ciblé par Bruno Retailleau, avait appelé à « une correction sévère » à l’endroit du poète de 31 ans.
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En octobre 2024, les éditions Gallimard ont été interdites au Salon international du livre d’Alger
En 2019, le dessinateur Abdelhamid Amine, alias Nime, a été arrêté et condamné à un an de prison, dont trois mois ferme, pour la publication de caricatures de hauts dignitaires algériens et candidats à l’élection présidentielle de 2019. Après sa libération, il a pris la décision de s’exiler en France en juillet 2021. Et il n’est pas le seul.
Le caricaturiste Ghilas Aïnouche a fait le même choix. En 2022, il a été condamné à dix ans de prison pour « atteinte au président de la République ». Selon le Comité national pour la libération des détenus, une association algérienne née en 2019 qui travaille à la libération des prisonniers politiques et d’opinion, plus de 200 personnes en lien avec le Hirak sont encore emprisonnées en Algérie.
Museler les voix critiques
Le phénomène est loin d’être nouveau dans ce pays qui « n’a jamais été une démocratie », selon le rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire, Arnaud Benedetti – par ailleurs membre du comité de soutien à Boualem Sansal. La situation semble toutefois s’être accélérée récemment. « Le président Bouteflika était plus malin. Il y a un raidissement du pouvoir, une radicalisation depuis l’élection d’Abdelmadjid Tebboune et encore plus depuis sa réélection », s’alarme-t-il.
La censure n’est d’ailleurs pas cachée. L’année dernière, le Parlement algérien a voté une loi qui permet de menacer d’incarcération — un à trois ans de prison — les cinéastes qui porteraient atteinte « aux valeurs nationales ». Cette loi allonge la liste des sujets soumis aux contrôles des autorités. Les films traitant des « thèmes religieux, d’événements politiques, de personnalités nationales ou de symboles de l’État » doivent être soumis à « l’avis consultatif des institutions concernées ». En août 2023, le film Barbie de Greta Gerwig avait été retiré des salles de projection algérienne pour « atteinte à la morale ».
Les restrictions de liberté d’expression s’invitent également dans le monde de la littérature. Le livre L’Algérie juive : l’autre moi que je connais si peu de Hedia Bensahli, qui réintègre les Juifs d’Algérie au récit national, a été interdit et retiré des librairies. La maison d’édition Frantz Fanon qui avait publié l’ouvrage a été fermée en raison de ce livre.
En octobre 2024, les éditions Gallimard ont été interdites au Salon international du livre d’Alger. En cause, la présence sur les stands du salon du roman Houris de Kamel Daoud. L’amoncellement d’interdictions et le nombre d’incarcérations de l’autre côté de la Méditerranée amènent Arnaud Benedetti à déplorer la « répression grandissante qui s’abat sur le monde intellectuel et culturel » en Algérie. Âgé de 80 ans, souffrant d’un cancer, l’écrivain Boualem Sansal s’est mis à « écrire comme on enfile une tenue de combat ». Espérons qu’il puisse, comme les autres artistes emprisonnés par Alger, continuer d’avoir la force de se battre.
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