Le lycée musulman Averroès va pouvoir bénéficier à nouveau des subventions de l’État. Mercredi 23 avril, le tribunal administratif de Lille a rétabli le contrat de cet établissement scolaire, faisant ainsi annuler la décision du préfet du Nord du 7 décembre 2023. La cour a estimé que la procédure a été « entachée d’irrégularités » et que « l’existence de manquements graves au droit » au sein de l’école n’est pas avérée.
En 2024, la justice avait pourtant confirmé à deux reprises la suspension du contrat du lycée Averroès, accusé de donner des cours d’éthique musulmane relevant « du salafo-frérisme », dénonçait le 9 avril Georges-François Leclerc, aujourd’hui préfet des Bouches-du-Rhône. Dans un rapport d’octobre 2023, ce dernier dressait un constat alarmant sur l’école lilloise, également soupçonnée d’avoir obtenu des financements illicites via des structures « liées à la mouvance frériste ».
Le JDD. Le contrat entre le lycée musulman Averroès et l’État a été rétabli. Doit-on y voir une faiblesse des autorités à l’égard de cette école, pourtant accusée d’être financée par des structures liées aux Frères musulmans ?
Florence Bergeaud-Blackler. On peut se poser la question. Comment est-il possible qu’avec toutes les preuves accumulées par la préfecture depuis des années, la procédure n’ait pas été correctement suivie ? Pour autant, on ne doit pas y voir une avancée de l’islamisme, même si les Frères musulmans ont de bons avocats, mais plutôt une main encore tremblante des services de la préfecture. On peut également suspecter que des vices de procédure aient été commis délibérément. Tout est possible dans ces affaires très sensibles politiquement.
L’État doit-il faire appel de cette décision, comme le souhaite Bruno Retailleau ? Le ministre de l’Intérieur qualifie cette école musulmane de « bastion de l’entrisme islamiste »…
La suite après cette publicité
Le ministre de l’Intérieur est très clair sur ce point, car il a accès aux informations des Renseignements territoriaux et de la DGSI, qui suivent le lycée et la frérosphère depuis des années. Il a notamment pu consulter le rapport complet sur les Frères musulmans, dont une version allégée doit être dévoilée, comme promis.
Le lycée Averroès a été créé par les Musulmans de France (ex-UOIF, Union des organisations islamiques de France), canal historique des Frères dans l’Hexagone. Il est désormais évident que c’est un bastion de l’islam politique. En outre, de très nombreuses preuves ont été rendues publiques par l’un de ceux qui ont quitté la confrérie : Mohamed Louizi.
Cette décision de justice est intervenue alors que la Jordanie a interdit les activités des Frères musulmans dans son pays, comme c’est le cas dans d’autres États (Russie, Égypte, Émirats arabes unis, Arabie saoudite). Pourquoi la France n’en fait-elle pas de même ?
Ce qui peut apparaître comme une évidence, c’est-à-dire d’interdire les Frères musulmans au prétexte que la Jordanie, les Émirats ou l’Arabie saoudite l’ont fait, n’en est pas une. Les pays musulmans l’interdisent parce qu’ils menacent leur pouvoir, pas parce que les Frères musulmans prônent la charia.
Ces États n’ont pas les mêmes motivations que les démocraties libérales sécularisées et n’ont pas l’État de droit pour les retenir de menacer ou même de faire assassiner leurs opposants. En Europe, nous voulons interdire une confrérie secrète, mais nous ne savons pas l’identifier. L’Autriche, qui a banni les symboles liés à la confrérie, n’est pas mieux préservée de l’idéologie frériste et des tentatives d’imposer un parti islamiste dans le champ politique.
« Les Frères musulmans sont des théocrates qui n’en ont que faire de la démocratie »
À ce stade, l’interdire serait nous tirer une balle dans le pied, et cela rendrait un grand service à son réseau d’avocats militants. Les chercheurs comme moi seraient empêchés de travailler. Le harcèlement judiciaire serait systématique.
Comment peut-on faire face à un tel danger pour la République ?
La seule solution qui nous reste : connaître l’idéologie de la confrérie, identifier ses acteurs, savoir la décoder et cesser d’en faire un sujet tabou.
Avez-vous entendu parler des Frères musulmans sur France Inter, France 2 et dans les médias publics ? Non. C’est regrettable, car si les Français ne sont pas correctement informés de leur projet, de leurs stratégies et des techniques qu’ils utilisent dans tous les secteurs de la société, à commencer par les universités et les écoles, nous avons peu de chances d’en venir à bout. C’est pourquoi il est intolérable de financer un lycée inspiré par l’idéologie salafiste, celle des Frères musulmans en particulier, avec des fonds publics !
Les Frères musulmans sont des théocrates qui n’ont que faire de la démocratie, ils agissent dans tous les pays d’Europe et créent les mêmes problèmes partout. La laïcité nous protège, mais pas suffisamment, car ils essaient d’en imposer une conception « ouverte », dite « inclusive », qui la rend inefficace à combattre les fondamentalismes.
Il faut comprendre que le port du voile et la nourriture halal ne sont que des instruments d’un projet plus vaste de société islamique. Il faut cesser de culpabiliser les Français et leur expliquer réellement ce qu’est l’islamisme. Il faut aider la recherche et cesser de diaboliser les chercheurs. L’absence de soutien universitaire à Fabrice Balanche, à Gilles Kepel ou à moi-même est un symptôme inquiétant de cette tendance à baisser les bras ou à fermer les yeux devant un phénomène qu’on ne comprend pas. Il faut pourtant se réveiller, il est plus que temps.
Florence Bergeaud-Blackler est chercheur au CNRS et auteur de l’ouvrage Le Frérisme et ses réseaux (Odile Jacob, 2023).
Source : Lire Plus





