Au lendemain du drame qui a coûté la vie à une jeune lycéenne de 15 ans, à Nantes, le procureur de la République a dévoilé le portrait d’un jeune homme « extrêmement solitaire », à l’« évidence suicidaire » et ayant « une certaine fascination pour Hitler ». Un jeune homme qui avait également signé un manifeste contre « l’écocide globalisé » et l’effondrement de la société. Le procureur a toutefois précisé qu’à l’heure actuelle, « absolument aucun mobile n’est certain ». Initialement placé en garde à vue, le jeune lycéen a finalement été hospitalisé dans une unité psychiatrique. Au-delà d’une enquête qui livrera ses secrets dans les prochains jours, notre chroniqueuse Marie-Estelle Dupont décèle dans ce drame un nouveau symbole d’une « jeunesse violente et violentée ».
Il y a quatre ans, j’écrivais que nous préparions, avec les mesures « sanitaires », une génération de jeunes déprimés et violents. Chiffres et événements le confirment aujourd’hui : les mineurs sont à la fois les plus enclins à passer à l’acte et les premières victimes de leurs pairs.
Le contexte est important : il me semble que nous avons sous les yeux les conséquences de nos choix. Si la nature humaine ne change pas et que la maladie mentale comme le mal pur existent, il faut rappeler que les mineurs ont été privés de tout ce qui permet de devenir un adulte équilibré et sain, capable de tolérer la frustration et d’interagir avec autrui sans le percevoir comme une menace.En effet, l’éducation a souvent laissé place à l’infantilisation, soit par une permissivité coupable et sentimentaliste, soit par une coercition écrasante et culpabilisante. Or l’adolescent est poreux, suggestible, et il a besoin que son environnement soit cohérent. Les injonctions paradoxales, le narratif constant de crise, la privation d’interactions sociales ou de compétition saine ont entravé la mise en place du sentiment d’être capable, sans être ni tout-puissant, ni impuissant.
En arrêtant la vie pour éviter la mort, nous avons réinstauré le règne du plus fort et opéré un renversement des valeurs fondamentales : ces jeunes n’ont confiance ni en eux, ni en l’autre, ni en l’avenir, et surtout pas dans les adultes.
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La nature humaine ne change pas, en effet. Mais les sociétés offrent, ou non, les cadres structurants qui évitent à la pulsion de mort de se décharger de manière brute : instruction de qualité, limites, exemples, figures d’autorité inspirantes et respectables, repères culturels et anthropologiques véhiculant les interdits protecteurs, grands tabous (inceste et meurtre), art, justice cohérente et appliquée dès le premier passage à l’acte… Tous ces facteurs contribuent, dans une société saine, à rejeter cette possibilité du mal qui nous habite tous. Éduquer au discernement et à la liberté nécessite par ailleurs que la société n’ait pas gommé la notion de bien et de mal et n’ait pas tout confondu au nom de la tolérance.
L’idéologie de l’indifférenciation a dilué la place de chacun
Nous avons perdu nos appuis imaginaires et spirituels au profit de l’image, de la performance, de la consommation compulsive ; nous avons substitué l’idéologie à la pensée et à la spiritualité. Tout ceci prépare les conditions de la violence. On pourrait même se demander si ces effroyables passages à l’acte ne sont pas un reflet, à la loupe, de la violence structurelle d’une organisation sociale obnubilée par la toute-puissance et le progrès, conçu comme maîtrise absolue des conditions de la vie et de la mort.
L’idéologie de l’indifférenciation a quant à elle dilué la place singulière de chacun. Tout se vaut, le relativisme est partout, tout est interchangeable, tout est possible, l’homme devient un moyen et une fin que rien de sacré n’enveloppe ni ne surplombe. Or, dans une société indifférenciée, personne ne trouve sa place propre et singulière. Le respect d’autrui cède la place à la guerre de tous contre tous dont parlait Hobbes.
La crise identitaire et identificatoire que vivent nos jeunes aboutit à cette tentation de la radicalité : la transcendance et l’intellectualisation étant inaccessibles à beaucoup d’entre eux, les idéologies prennent la place. Qu’il s’agisse d’islamisme, de communisme, d’écologie radicale, de système sectaire.
Des idéologies totalitaires
D’aucuns pointent du doigt les réseaux sociaux, mais nos élus sont tout à fait capables de véhiculer des idéologies totalitaires, paranoïaques et sacrificielles. Le fantasme morbide véhiculé pendant le Covid, selon lequel un enfant qui sortait risquait de tuer papy et mamie, accompagné de la liturgie covidienne avec son vocabulaire et ses masques (jusqu’à transformer en bouc émissaire celui qui ne le portait pas…), relevait lui aussi du quasi-religieux . Or, à ces discours paranoïaques et délirants, véhiculés par les adultes qu’ils côtoient, les jeunes ne peuvent rien opposer sinon le glissement vers une radicalité qui dit l’échec à penser le réel.
Alors Dieu étant mort et l’homme ayant pris sa place en devenant le centre et la fin de tout, le religieux dépouillé du spirituel se glisse partout : dans le débat politique – l’autre n’est pas un adversaire mais l’incarnation du Mal ; dans la santé – le non-vacciné est le pestiféré ostracisé ; dans l’écologie – la déesse mère Gaïa persécutée par les méchants humains ne sera apaisée que par notre sacrifice… Ce culte écologiste propose une autre religion, dégradée, primitive, archaïque, cousue de pensée magique et de nihilisme, donc sacrificielle. L’être humain serait un cancer pour la Terre, il faudrait arrêter de faire des enfants, ne pas polluer et même ne pas être… Le manifeste de treize pages posté par le jeune meurtrier de Nantes, quelques heures avant son passage à l’acte, le dit très clairement : l’acte sacrificiel est nécessaire pour la rédemption de nos péchés environnementaux.
Ce jeune est enlisé dans une idéologie qui est venue justifier ses pulsions de destruction et d’anéantissement
Les Mayas sacrifiaient des innocents pour satisfaire leurs dieux en colère. De même, la « misanthropie active » invoquée dans ce manifeste serait nécessaire pour apaiser la colère de la déesse mère Gaïa. Son geste pourrait tristement illustrer qu’une société déspiritualisée facilite le retour aux conduites sacrificielles – qui consiste à faire couler le sang impur.
Stopper cette régression
Que ce jeune homme apparaisse, au terme de l’expertise, comme un psychotique ayant décompensé ou comme un psychopathe ayant mûrement réfléchi son acte, il demeure un jeune enlisé dans une idéologie qui est venue justifier ses pulsions de destruction et d’anéantissement. Faute de mieux. Et la véritable question qu’il pose, en demandant à son tour à mourir après avoir commis son crime est : que faisons-nous, adultes, pour restaurer le sens du véritable sacré et arrêter cette régression massive vers des conduites sacrificielles ?
Marie-Estelle Dupont est psychologue clinicienne, et l’auteur de plusieurs ouvrages, dont « Être parents en temps de crise » (Les éditions Trédaniel, 2023).
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