Décidément, il ne fait rien comme les autres. Le pape des paradoxes, jusqu’à son enterrement, sobre et chatoyant, dans la peine et la joie, aussi papal que normal. Plus simple que celui de Jean-Paul II, géant du siècle, plus chaleureux que celui de Benoît XVI, alors « pape émérite » retiré depuis une décennie. Les grands de ce monde sont là, réduits au silence. Ou à des conciliabules en marge de l’événement, comme la rencontre aux airs de passage à confesse entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky. Pour quelques heures, Rome est à nouveau le centre du monde.
Au petit matin, il fait bon et un silence léger règne place Saint-Pierre : on croise des yeux collés par une nuit trop courte, des prêtres qui dévorent un beignet, une farandole d’habits religieux qui se fraient un chemin entre un maillot de Messi et une famille assoupie. Répétition des litanies, chapelet, arrivée des chefs d’État, gardes suisses en place, drapeaux arborés, tout est en place pour la messe en mondovision : elle sera recueillie et digne. Les cloches sonnent dix heures lorsque s’avance lentement, entouré des cardinaux, le cercueil du pontife, sur les épaules des porteurs émus. La liturgie est épurée, autant que la sépulture souhaitée par François – et que son testament, dont c’était l’unique volonté exprimée. Le cercueil de bois et de cyprès repose sur le parvis de la basilique Saint-Pierre et les 250 000 fidèles rassemblés sur la place s’abîment en prière, dans un profond silence que perce seulement le chœur pontifical de la chapelle Sixtine qui porte leurs prières.
Les grands combats de François
Giovanni Battista Re, doyen du Collège des cardinaux, rappelle que le Saint-Père, la veille de sa mort, jour de Pâques, donnait la bénédiction urbi et orbi (à la ville et au monde) avant d’aller à la rencontre de la foule une dernière fois. Son homélie est très attendue. Des applaudissements la ponctuent, rares mais nourris, à l’évocation des grands combats de François : « Les gestes et ses exhortations en faveur des réfugiés et des personnes déplacées sont innombrables », rappelle le cardinal Re en évoquant le premier déplacement de François sur l’île de Lampedusa, pour dénoncer « l’indifférence » du monde face aux morts noyés en Méditerranée. Laudato si’, l’encyclique de l’écologie intégrale, reçoit elle aussi des applaudissements après l’évocation de « la maison commune ». Avant que certains chefs d’État ou têtes couronnées n’échangent un geste de paix, l’homélie s’achève en soulignant à quel point François a toujours essayé d’être un artisan de paix : « La guerre laisse toujours le monde pire qu’il n’était auparavant : elle est toujours une défaite douloureuse et tragique pour tous. »
Avant le Magnificat final, la bénédiction libère les fidèles. Le cardinal Jean-Paul Vesco, archevêque d’Alger, offre encore la sienne à qui la sollicite à la sortie de la place Saint-Pierre, et confie au JDD que le pape « aurait aimé cette simplicité », qui a réuni les puissants et les plus humbles : « C’était un grand témoin. On le savait, mais cette foule montre que l’Église touche encore des cœurs. » Celui de Teresa, venue avec son mari, a tressailli : « papista » assumée, tendance posters, citations et images pieuses, elle tient à célébrer la continuité entre les trois derniers papes, à rebours d’oppositions qu’elle juge caricaturales : « Je crois à ce qui était écrit sur une banderole, ils ont incarné les trois vertus théologales : Jean-Paul II, le pape de l’espérance, Benoît XVI, “ferme dans la foi”, et le pape François, la charité, l’amour incarné. C’est un même message évangélique, décliné par des messagers différents. Ils sont complémentaires ! »
Le pape « aurait aimé cette simplicité, qui a réuni les puissants et les plus humbles »
Pauline, 25 ans, arrivée de Haute-Savoie dans la nuit, est moins exubérante mais tout aussi émue : elle pensait faire simple « acte de présence », mais a été cueillie par la cérémonie. Elle a grandi avec ce pape : « En dix ans, j’ai vu l’Église évoluer énormément. Le pape François nous a invités, nous particulièrement les jeunes, à la faire nôtre ! Je lui suis aussi reconnaissante pour la place centrale qu’il a donnée à l’écologie, et je partage la gratitude de mes amis homosexuels, pour qui le pape a su trouver les mots pour que l’Église leur ouvre ses bras ! » Un jeune curé de campagne français, séminariste il y a douze ans pour l’élection de François, qu’il avait vécue place Saint-Pierre, se remet de ses émotions avec une bonne glace : « Nous tous, frères prêtres, étions en train d’enterrer notre père. C’était une expérience de l’Église universelle, au-delà des rites – les rites orientaux étaient représentés – et des sensibilités personnelles : une magnifique illustration de ce que signifie choisir d’aimer l’Église. »
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La pape achève son dernier voyage
C’est ce qu’illustre Soane Patita Paini Mafi, charismatique cardinal tongien, en discussion avec des prélats africains. Voix de l’Océanie, il salue la « solennité » de la cérémonie et sa profondeur spirituelle. Arrivé d’Australie pour un pèlerinage jubilaire, le jeune Jakob regrette déjà le pape de sa génération, « progressiste comme les jeunes d’aujourd’hui ». Des familles indiennes vivant à Rome témoignent du « charisme d’accueil et d’écoute » du pape, rencontré plusieurs fois lors de repas organisés pour les pauvres. On retrouve des Français, et leur esprit critique légendaire, « heureux de vivre cet événement, avec néanmoins un regret : aucune allusion n’a été faite aux milliers de jeunes qui s’étaient initialement déplacés pour le jubilé des adolescents. La messe était belle et très priante, c’est l’essentiel… avec l’utilisation du latin comme langue universelle de l’Église, c’est quand même bien pratique », ironise une mère de famille.
Au terme d’un parcours de 6 kilomètres dans les rues de Rome en côtoyant quelques lieux emblématiques de la ville, escorté par une foule toujours nombreuse, le pape achève son dernier voyage en papamobile, accueilli là où il sera inhumé, par les plus démunies. Une quarantaine de femmes, roses blanches à la main, sont là pour lui rendre hommage, des détenues, anciennes sans-abri, personnes transgenres… Toutes ont presque déjà rencontré François. La densité d’une vie saisit les fidèles et les curieux. L’heure n’est pas encore à la fumée blanche, aux alcôves et au conclave. Tout est accompli. En face de la basilique où repose désormais le défunt, une banderole accrochée aux fenêtres parle pour elles et pour tous : « Grazie Francesco. »
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