Le fossé qui se creuse entre les Français et certains médias – le même que celui avec les politiques – s’explique par le défaut de vérité. Une réalité que souvent, on ne veut pas voir, que l’on cache, pour apaiser ses émotions. Car la fiction est souvent bien plus douce. Combien de fois le récit proposé ne correspond-il en rien aux faits, mais berce un certain inconscient ? La vérité fait mal. La vérité fait souffrir. La vérité blesse. La vérité ébranle.
Prenons l’attaque meurtrière au couteau dans un lycée de Nantes, jeudi dernier, par un adolescent qui a voulu semer la mort. L’émotion a saisi la France entière. En suivant l’actualité, on s’interroge sur ce nombre d’attaques au couteau par jour en France, qui semble avoir explosé. Un sentiment ? Ces scènes d’horreur auxquelles on assiste devant les établissements scolaires viennent se nicher à présent au cœur même des lycées… Mais plus personne ne compte ces agressions. Le chiffre énoncé de 120 attaques au couteau par jour a disparu. Il a été démonté, déconstruit, cloué au pilori, jugé trop élevé, mais aucun n’a cherché à donner des statistiques mises à jour en 2025.
La vérité accable. Si on ne compte pas, on ne sait pas, on ne voit pas, la vérité n’existe pas, et une certaine fiction s’installe. La réalité dérange, l’illusion apaise. Le nombre de voitures incendiées le soir du Nouvel An ? Le décompte s’est arrêté. L’information s’est évanouie. La vérité est cruelle. Dans l’affaire du petit Émile disparu en juillet 2023, où en est-on de la vérité ? Rien aujourd’hui, selon la justice, ne permet d’incriminer le grand-père, mais le récit médiatique a trouvé son coupable, « sa » vérité. Crépol ? Où en est-on de la vérité ? La vérité dérange. Dans l’affaire Nahel, où est la vérité ? Qui veut vraiment la rechercher ?
La vérité demande un effort
Méfions-nous de ceux qui brandissent la fiction haut et fort, la martèlent, au nom de la vérité. Il y a les faits, le réel, et il y a ce qu’on en dit. Qu’est-ce qui est vrai ? La vérité nous intéresse-t-elle vraiment ? Elle demande un effort ; se contenter d’un récit fictionnel, rabâché et « prémâché » est tellement plus confortable.
Regardons le dossier sur la fin de vie. Ne disons pas « euthanasie », un mot trop empreint de vérité. Sur le fond, a-t-on besoin d’un nouveau texte ? Tous les spécialistes expliquent que la loi Leonetti, avec les soins palliatifs, suffit. Dans un contexte où ces derniers ne sont pas assez développés, où nous n’avons plus les moyens de soigner nos seniors qui vivent de plus en plus vieux, veut-on vraiment regarder la vérité en face ? Restons plutôt dans cette illusion qui rassure, celle qui nous permet d’imaginer que chacun pourra appuyer sur un bouton pour décider de sa fin de vie en évitant toute souffrance. Un récit tellement plus doux que la réalité. On devra pourtant tous faire face à la mort, avec ses doutes et ses interrogations
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La vérité se moque de nos désirs
Nos désirs sont supérieurs à tout. Falsifier la réalité devient une survie pour les satisfaire. Le numérique s’est engouffré dans ce nouveau rapport au réel. Combien de fois se plonge-t-on dans son écran pour éviter de lui faire face ? Une conversation, une situation, jusqu’à éviter de faire face à soi-même. Immergé dans le monde virtuel, on oublie la difficulté de sa vie. On change d’identité, on s’anonymise, on se déguise… On préfère créer son avatar que de garder son identité. On opte pour un filtre au lieu de faire face au réel. On se plaît mieux en personnage de dessin animé. Combien ne s’acceptent plus en réalité ?
La désinformation passe pour vérité
La petite ville de Thouars, dans les Deux-Sèvres, s’est réveillée cette semaine sous le choc avec une vingtaine de voitures incendiées. Dans l’ouest du Mexique, de la même façon, au même moment, plusieurs véhicules ont été incendiés. Un mode opératoire des narcotrafiquants pour manifester leur mécontentement. Mais n’allez pas parler en France de risque de mexicanisation. Ce mot est à bannir… Bruno Retailleau, l’homme le plus informé de France, s’est vu forcément critiqué pour avoir parlé de ce « risque de mexicanisation » en novembre dernier. La vérité fait mal. Il faut la maquiller, la transformer pour qu’elle soit acceptée.
Relever les défis de la vérité, c’est le premier pas vers la liberté
Le mot « mexicanisation » avait été employé le 4 mars 2024 par Nicolas Bessone, procureur de la République de Marseille, lors d’auditions au Sénat. Il avait parlé de « mexicanisation » de la criminalité. Une façon pour le procureur, en première ligne de l’actualité, d’engager des actions fortes dans la lutte contre la drogue. Lors de ces auditions, de nombreux magistrats marseillais avaient marqué l’opinion en dénonçant l’impuissance de l’État face au narcotrafic. Ils avaient dit la vérité. Sous serment. Ils se sont fait recadrer par le garde des sceaux lui-même, Éric Dupond-Moretti. Leur erreur ? Avoir dit vrai.
Le premier qui dit la vérité doit être exécuté
Dans une société où l’on ne veut plus d’autorité, plus d’exigence, plus de contrainte, comment peut-on accepter le réel qui est une contrainte ? Pour protéger notre bien-être sociétal, nous avons développé ce mécanisme de défense, ces récits édulcorés qui deviennent des refuges. Mais il faudra tôt ou tard affronter la vérité, indispensable pour avancer. Elle possède une force transformative. Elle exige une évolution. Elle incite à chercher des solutions. La rechercher malgré l’effort, avec ses blessures et ses défis, c’est le premier pas vers la liberté.
Cette quête de la vérité demande du courage, celui de sortir du piège dans lequel on enferme le réel : nous obligeant à le considérer comme une fiction parmi les autres.
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