« Un meurtre islamophobe », « une attaque islamophobe », « l’islamophobie tue »… En quelques heures, ce mot a été associé au drame survenu à la mosquée de La Grand-Combe ce vendredi 25 avril, où un fidèle a été tué d’une quarantaine de coups de couteau. De nombreuses figures de gauche ont ainsi mis ce terme en avant pour souligner la haine des musulmans qui motiverait l’acte de l’assaillant. Mais aussi pour dénoncer, plus largement, « l’atmosphère islamophobe » qui régnerait en France.
Plus surprenant, ce mot est aussi sorti de la bouche du patron des députés Les Républicains Laurent Wauquiez. Celui qui est aussi candidat à la présidence de son parti a évoqué ce dimanche 27 avril un « attentat islamophobe » sur BFMTV. La veille, le terme avait également été employé par François Bayrou, qui avait condamné une « ignominie islamophobe » sur X. Et gare, notamment à gauche, à ceux qui ne l’utiliseraient pas. Le patron du Parti communiste Fabien Roussel ou le député de la Somme François Ruffin ont été ciblés sur les réseaux sociaux pour avoir préféré parler d’acte « anti-musulmans ». Le second a par la suite employé le mot « islamophobe » dans un autre message.
« Il y a une connotation idéologique du terme “islamophobie” très marquée vis-à-vis des Frères musulmans »
D’autres responsables politiques récusent ouvertement ce terme. « Il y a une connotation idéologique du terme “islamophobie” très marquée vis-à-vis des Frères musulmans, qui fait que dans notre ministère, on prend la précaution de ne pas l’utiliser », a expliqué le premier flic de France, Bruno Retailleau. Réaction similaire de Manuel Valls sur RTL. Tout en dénonçant un « crime atroce » à la mosquée de La Grand-Combe et en adressant sa « solidarité à tous les Français musulmans », le ministre des Outre-Mer a contesté la pertinence de ce terme, qui aurait été « inventé il y a plus de trente ans par les mollahs iraniens » pour contrarier tout critique de l’islam et de ses règles.
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En réalité, plusieurs historiens et chercheurs situent l’apparition du terme en 1910. « Contrairement à une vulgate répandue, ce mot est plus que centenaire. La première utilisation figure sous la plume d’un certain Alain Quellien, aujourd’hui oublié », écrivait Alain Ruscio dans un article publié en 2016 dans la revue Orient XXI. Le chercheur au CNRS Vincent Geisser rappelle de son côté que le mot est présent dans la langue française dans les années 1920 sous la plume du peintre orientaliste Étienne Dinet, qui entendait dénoncer les « élucubrations » de certains auteurs chrétiens sur la religion musulmane. Toutefois, son usage était alors réduit à quelques cercles d’anthropologues, de poètes ou de peintres islamophiles.
Ce mot a pris une tout autre tournure à partir de la révolution islamique de 1979 en Iran. Si l’ayatollah Khomeini n’a jamais brandi le terme « islamophobie » en tant que tel, il a joué avec cette prétendue peur de l’islam comme un outil de propagande. Des féministes iraniennes qui se sont indignées des premières décisions sexistes et liberticides du régime des mollahs, à l’image de l’imposition du voile, ont par exemple été qualifiées par Téhéran de « phobiques » à l’égard de l’islam.
Puis le terme est arrivé à nouveau dans l’Hexagone au début des années 2000. « Il a été introduit de manière massive par le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) – organisation dissoute en 2020 avant de se reconstituer en Belgique – pour faire taire toute critique de l’islam. Mais aussi pour mener un vrai djihad judiciaire contre toute personne qui dénoncerait l’islamisme », explique au JDD Fadila Maaroufi, directrice de l’Observatoire européen des fondamentalismes. Selon cette définition, est donc jugée « islamophobe » quiconque critique le Coran, le voile islamique ou même l’islamisme. Dans notre cadre juridique, il n’existe pourtant aucune interdiction à formuler de telles critiques, car celles-ci visent non pas la personne du croyant, mais les idées ou la religion.
« La lutte contre l’islamophobie vise à supprimer tout obstacle au projet islamiste »
« Pour nous, l’islamophobie est tout ce qui entrave la construction et le développement de la communauté, son expression, qu’elle soit visible ou politique, en France ou ailleurs », indiquait Elias d’Imzalène, fondateur du média Islam & info, condamné à cinq mois de prison avec sursis pour avoir appelé à l’intifada dans Paris. « La lutte contre l’islamophobie vise ainsi à supprimer tout obstacle au projet islamiste ; ce n’est pas un simple programme de lutte contre la haine et les discriminations, c’est un programme d’inclusion… mais dans l’islam », en a conclu la présidente du Centre de recherche sur le frérisme Florence Bergeaud-Blackler dans une tribune au Figaro.
L’anthropologue poursuivait : « Les fréristes, qui appartiennent à la frange intellectuelle des islamistes et que l’on voit sur nos campus entourés de militants de la gauche radicale, ajoutent à leur définition de l’islamophobie la “discrimination à l’égard des musulmans réels ou supposés”. C’est par ce subterfuge qu’ils se sont alliés à la gauche ». Ainsi le 10 novembre 2019, le CCIF, réputé proche des Frères musulmans, et La France insoumise participaient à la même manifestation pour « dire stop à l’islamophobie », quelques jours après une tentative de meurtre devant la mosquée de Bayonne.
« C’est précisément cette manifestation qui va marquer l’usage du terme “islamophobie” dans le langage courant, malgré la résistance de certains », précise la directrice de l’Observatoire européen des fondamentalismes Fadila Maaroufi auprès du JDD. « C’est aussi à ce moment que Jean-Luc Mélenchon a réalisé la force des électeurs musulmans », se remémore-t-elle. Avant d’ajouter : « Ceux qui utilisent le mot “islamophobie », notamment les mélenchonistes, pour décrire ce qu’il s’est passé il y a quelques jours sont les idiots utiles des islamistes. Mais le pire est qu’ils en ont conscience et qu’ils se croient plus malins que les islamistes ».
Quoi qu’il en soit, pour une large partie du spectre politique et intellectuel, le terme « islamophobie » est désormais aux musulmans ce que l’antisémitisme est aux Juifs. Le drame à la mosquée de La Grand-Combe le démontre plus que jamais.
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