La dernière fois que Safran Electronics & Defense (SED) avait ouvert son site de Montluçon, c’était en février 2017, en présence de François Hollande. Il est rare qu’un « civil » soit autorisé à franchir les grilles de cette usine nichée au cœur de l’Allier. Caméras de surveillance, clôtures renforcées et agents de sécurité assurent la protection du site. « Il y a ce qui se voit, et ce qui ne se voit pas », confie un salarié à propos des dispositifs de sécurité. Un secret industriel destiné notamment à protéger la maîtrise de technologies particulièrement sensibles.
Dans l’enceinte de son « Fort Knox », qui s’étend sur 100 000 m², Safran produit les kits de guidage des missiles AASM (armement air-sol modulaire) en deux versions (250 et 1 000 kg). Ces armements air-sol modulaires, suspendus sous les ailes des Rafale, sont qualifiés de « bombes intelligentes », dotées d’un système de guidage à l’avant avec des ailettes ultramobiles, et d’un module de propulsion à l’arrière.
« L’AASM, c’est autonomie, précision, volume, explique Franck Saudo, président de Safran Electronics & Defense. Autonomie, car il atteint sa cible de façon autonome une fois désignée ; précision, car il est reconnu pour cela en Ukraine ; volume, car il offre un excellent rapport coût-efficacité, essentiel dans une logique d’économie de guerre. » Cinq bombes AASM peuvent être produites pour le prix d’un missile classique, évalué à environ un million d’euros.
« Nous allons chercher des candidats jusque dans les bars : ce qui compte, c’est la motivation et la dextérité »
Depuis l’invasion russe en Ukraine, ces bombes, surnommées « Magic Weapons » par les Américains, ont vu leur rythme de production multiplié par trois. En 2025, 1 200 kits de guidage sortiront de la fabrique de Montluçon. Pour atteindre cet objectif, le groupe a recruté 270 personnes en 2024, et 200 embauches sont prévues en 2025.
« Nous recrutons sans CV et sans qualification. Nous allons chercher des candidats jusque dans les bars : ce qui compte, c’est la motivation et la dextérité », affirme Jean-Noël Mahieu, directeur des opérations de Safran Electronics & Defense. Preuve qu’en matière de recrutement, les filtres de sécurité sont allégés, l’essentiel étant de tenir la cadence… Le site de Montluçon est ainsi devenu le premier employeur industriel de l’Allier avec plus de 1 600 personnes qui pointent sept jours sur sept.
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Dans un autre bâtiment, on découvre la salle blanche. Les opérateurs portent masque et tenue intégrale. « Il faut éviter toute contamination par des particules extérieures », précise Jean-Noël Mahieu. Avec minutie, à la façon de maîtres horlogers, les petits hommes blancs fabriquent des centrales inertielles de la taille d’une capsule de café.
Cette technologie, considérée comme la meilleure au monde, permet de se repérer dans l’espace sans recourir aux systèmes satellitaires (GPS, Galileo), souvent brouillés en zone de guerre ou inopérants en milieu sous-marin. « Nous sommes un acteur clé de la dissuasion. Nos gyroscopes de type HRG équipent les Rafale et les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins qui portent l’arme nucléaire », détaille notre guide. Mis en production en 2020, le HRG, pour « hemispherical resonator gyroscope », équipe également les canons Caesar. Il s’est déjà vendu à 25 000 exemplaires et 10 000 seront fabriqués cette année.
Sur fond de réarmement des États, Safran, à l’image de son site de Montluçon, monte en puissance. Sa branche défense dispose d’une cinquantaine de sites dans le monde, au sein desquels travaillent 14 000 salariés. En 2024, le chiffre d’affaires de SED a atteint environ 3 milliards d’euros. Son président prévoit d’atteindre 7 milliards d’ici 2030.
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