La magistrature peut-elle s’accommoder du syndicalisme ? La magistrature n’est pas n’importe quelle catégorie professionnelle. Elle constitue un corps dont la Constitution et les lois fixent les (considérables) prérogatives : trancher les litiges entre particuliers, punir les auteurs d’infraction, disposer de la force publique dans le cadre de la procédure pénale. La conduite de la carrière des magistrats est confiée à un organisme qui leur est propre : le Conseil national de la magistrature (CSM). Il en résulte que les fonctions habituelles du syndicalisme et du paritarisme sont exercées de manière autonome, dans le cas de la magistrature, par une instance spécifique.
Le syndicalisme a-t-il dès lors une raison d’être dans la magistrature ? Nous sommes loin, dans la fonction publique en général et dans la magistrature en particulier, du type de relations qui se nouent dans le secteur privé entre patronat et représentants des salariés – de nature contractuelles, et marquées par la négociation et le conflit. Dans la fonction publique, le lien entre l’agent et la collectivité employeur est, au contraire, unilatéral et réglementaire.
L’agent public n’a pas d’autre patron que la collectivité : en répondant à un mot d’ordre de grève syndical, il porte atteinte, qu’on le veuille ou non, à la continuité du service public ; en obtenant un nouvel avantage par l’action revendicative, il lèse objectivement l’usager ou le citoyen, que ce soit par la baisse du niveau de service ou la hausse des prélèvements obligatoires.
L’action syndicale trouve donc mal sa place dans la sphère publique. Plus encore lorsqu’elle se politise. Et plus encore lorsqu’elle touche à des fonctions régaliennes comme la justice. Dans la magistrature, le syndicalisme est un enfant de Mai 68 – le Syndicat de la magistrature (SM) est fondé en juin de cette année-là –, qui a d’emblée pris un tour politique et que les gouvernements successifs ont laissé s’installer par pusillanimité.
Comment un justiciable peut-il se sentir en confiance devant un tribunal correctionnel dont un membre sur trois a toutes les chances d’adhérer aux thèses du SM ?
Faisant fi de toute notion de neutralité, le SM revendique sans complexe une ligne politique d’extrême gauche. Il émet des contre-circulaires pour contrecarrer celles du garde des Sceaux. La veille des dernières élections législatives, il appelle ses adhérents à se mobiliser contre l’« extrême droite », si celle-ci devient majoritaire. Le SM participe à la Fête de l’Humanité et prend part à toutes les manifestations organisées par les mouvements de gauche. Il fustige le capitalisme, se prononce pour l’abolition des prisons et des frontières et dénonce les « violences policières ».
La suite après cette publicité
Bien sûr, le SM n’est pas toute la magistrature. Lors des élections aux instances professionnelles, il n’en recueille pas moins le tiers des suffrages exprimés. Il est représenté aux commissions d’avancement et au CSM. Il est non moins présent à l’École nationale de la magistrature. Comment un justiciable peut-il se sentir en confiance devant un tribunal correctionnel dont un membre sur trois a toutes les chances d’adhérer aux thèses manichéennes du SM ?
Quelle impartialité les victimes de crimes crapuleux peuvent-elles attendre des membres d’une organisation qui, sur le « Mur des cons », poussait l’idéologie jusqu’à vilipender le père d’une jeune fille violée et assassinée par un délinquant sexuel récidiviste, parce qu’il s’est prononcé en faveur du fichage génétique des délinquants sexuels ? N’y a-t-il pas là matière à récusation pour cause de suspicion légitime de partialité ? Il est temps pour le législateur de prendre ses responsabilités face à cette dérive.
*Jean-Marie Cotteret est professeur émérite à La Sorbonne, ancien membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel.
Source : Lire Plus





