
« Bien sûr, tout le monde au Sénégal rêve d’aller en Europe. Enfin, pas seulement au Sénégal, dans toute l’Afrique » : ces mots sont ceux d’un passeur sénégalais, Abdoulaye, sur l’île Saint-Louis. Des propos recueillis par Erik Tegnér, président du média Frontières, qui lance sa plateforme de documentaires en ligne Frontières+. Pendant deux ans, le jeune homme est allé aux points de départ de nombreuses voies migratoires afin de comprendre les rouages du business qui se cache derrière l’immigration intensive vers l’Europe.
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La parole des passeurs est rare. Abdoulaye est le seul à avoir accepté de répondre face caméra. C’est un ancien pêcheur : « Je connais la route, je connais la mer, j’ai des contacts », et les demandes affluent. Le prix d’une traversée ? Entre 400 000 et 500 000 francs CFA (soit environ 760 euros) par personne. Et chaque bateau comprend entre 150 et plus de 200 passagers. Pourtant, le passeur affirme ne pas très bien gagner sa vie, en tout cas moins que dans l’imaginaire collectif. Il doit payer ses bateaux… mais aussi, prétend-il, le silence de la police sur ses affaires – alors que cette dernière est censée, en échange de l’argent de l’UE, empêcher les départs ! Son parcours est rodé, depuis qu’il a commencé en 2006.
Il part du Sénégal, fait escale en Mauritanie, puis Nouadhibou, le Maroc et enfin l’Espagne, avant de revenir dans son pays et de recommencer, inlassablement, à vendre le même rêve : celui d’une vie sans contrainte, dans un pays – la France – qui prend en charge tous les frais médicaux et offre des aides sociales : « Oui, tout le monde est au courant ici de ce à quoi l’on a droit là-bas », abonde-t-il. Alors, même s’il est fiché par la police espagnole et qu’il gagne moins qu’il ne le voudrait, il continue à exercer. La loi de l’offre et de la demande est à son avantage. Il le prophétise lui-même : « Ça ne s’arrêtera jamais. »
« Ça ne s’arrêtera jamais »
Au-delà du cas d’Abdoulaye, Erik Tegnér a eu l’occasion de croiser d’autres types de passeurs sur d’autres voies migratoires. Ce qu’il en retient : « Il n’y a pas un passeur, mais des milliers de passeurs. » Dans les Balkans par exemple, le passeur est souvent un local – hôtelier, taxi – qui aide, sur une partie du passage vers l’Europe de l’Ouest. Dans la Macédoine du Nord, le journaliste a vu des familles afghanes qui dormaient à l’hôtel, des stations-service remplies de sacs de couchage et de pulls, et toujours à côté des points de retrait d’argent Western Union, pour pouvoir payer les passeurs d’un jour.
Alors qu’en 2023, Europol estimait à 380 000 le nombre d’entrées irrégulières, dont plus de 90 % avait été rendues possibles grâce au service des passeurs, le Conseil de l’Union européenne a accouché d’une nouvelle directive européenne sur le trafic des migrants visant à harmoniser les législations nationales des États membres. Parmi les points essentiels : l’incrimination uniforme lorsqu’une personne aide un tiers à entrer dans l’UE en échange d’argent. Le Parlement européen avait adopté en avril 2024 le Pacte sur l’immigration et l’asile, censé entre autres choses lutter contre le trafic de migrants. Il devrait être appliqué en intégralité d’ici mi-2026. « Il y a urgence. Je ressors de ces mois d’enquête profondément déprimé », conclut Erik Tegnér.
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Le documentaire La Route occidentale est à retrouver sur la plateforme Frontières+.
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