Un « fils de saint Augustin » : c’est ainsi que Léon XIV s’est présenté à la foule en liesse massée entre les colonnades du Bernin. Au moins autant que le nom choisi par Robert Francis Prevost, cette déclaration mérite qu’on s’y attarde. Personne n’a oublié Benoît XVI, dont l’évêque d’Hippone fut le maître et le « grand ami ». Vingt ans après, c’est non seulement un religieux augustin mais un augustinien que l’on a découvert revêtu des ornements traditionnels, à la loggia de Saint-Pierre.
Augustinien, oui, mais encore ? Qu’en déduire de sa personnalité ? Qu’en inférer pour les orientations de son pontificat ? Je retiens trois traits de caractère et deux défis pour le successeur de Pierre. Trois vertus : l’humilité, l’intériorité et la charité. Le naturel avec lequel le cardinal Prevost a embrassé sa charge et la solennité des rites qui l’accompagnent, la douceur de son sourire, la chaleur de ses saluts, la piété de ses bénédictions dans cette langue latine dont Augustin fut un des plus grands prosateurs : autant de signes d’une humilité ancrée dans celle du Christ. Combattre l’orgueil et ses convoitises, vestiges de la révolte contre le créateur, fut un leitmotiv d’Augustin. Léon XIV s’inscrit à sa suite en revêtant cette humilité qui est la grandeur véritable.
L’intériorité, c’est cette pudeur qui sied aux grands spirituels comme l’auteur des Confessions, lui qui a découvert Dieu « plus intérieur que le plus intime en lui » ; c’est le visage de la piété, prière d’un cœur qui se fait « mendiant de Dieu » – ce cœur brûlant qui figure sur le blason de Léon. La charité, enfin, vertu cardinale du chrétien, et, au premier chef, du pontife romain. Augustin l’incarna sa vie durant, redisant avec saint Jean « Dieu est amour » – Deus caritas est.
Avoir le souci que la tunique du Christ reste d’une seule pièce
Deux défis ensuite : la combativité et l’unité. Des combats, Augustin en a connu toute sa vie. Contre lui-même, durant les longues années où, adepte du dualisme manichéen – un Dieu bon et créateur en lutte avec un démiurge principe du mal –, il résista à l’appel de la conversion. Contre les hérésies fomentées par Pélage, Donat, Julien d’Éclane. Tout au long, enfin, de sa mission épiscopale, au gré des conciles dans l’Afrique chrétienne du Ve siècle. Il lutta plus radicalement pour comprendre l’origine du mal afin de le mieux combattre – Léon n’a-t-il pas inauguré son pontificat en disant : « Dieu nous aime et le mal ne l’emportera pas » ?
Affronter les luttes intestines, c’est avoir le souci pastoral que la tunique sans couture du Christ reste d’une seule pièce, image traditionnelle de l’unité de l’Église et condition de sa mission évangélisatrice. Cette unité est aussi celle de la Trinité, dont Augustin chercha sans se lasser le visage, le Dieu un en trois personnes professé dans le Credo – on retrouve ici la devise papale In illo uno unum.
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Ces traits communs entre les deux hommes font-ils entrevoir les thèmes des futurs textes et enseignements du pape ? Sans disposer d’une boule de cristal, on pourra suggérer au pontife de s’emparer, à la suite de Léon XIII, des res novae – réalités de notre temps – qui sont les plus augustiniennes : un juste usage des sciences et technologies, dont l’IA, à rebours d’un orgueil sans mesure ; la sauvegarde de la vie, de son commencement à son terme ; la paix, celle des familles, des nations, de toutes choses, invoquée par Augustin dans sa Cité de Dieu, cette « tranquillité dans l’ordre » qui régit la cité terrestre comme la céleste.
Enfin, je forme le vœu que Léon œuvre à transformer le ressentiment contemporain envers le donné – la Création, la différence des sexes, la vie elle-même – en un assentiment qui prenne la forme d’une gratitude fondamentale pour le créé. Afin que chacun puisse dire avec Augustin : « Mon Dieu, je te rends grâce pour tes dons, car si je suis, c’est parce que toi, tu me l’as donné. »
Saint Augustin autrement, Juliette de Dieuleveult, Cahier du Collège des Bernardins-École cathédrale, 191 pages, 17 euros.
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