Nestlé savait… et l’État aurait déguisé l’affaire. C’est la terrible conclusion de la commission d’enquête sénatoriale sur les pratiques des industriels de l’eau en bouteille. Fruit de six mois d’entretiens et de 73 auditions, ce rapport rendu public ce lundi 19 mai avance que la « présidence de la République, loin d’être une forteresse inexpugnable à l’égard du lobbying de Nestlé, a suivi de près le dossier » et « savait, au moins depuis 2022, que l’entreprise trichait depuis des années ».
Pis, l’Élysée avait conscience que « cela créait une distorsion de concurrence avec les autres minéraliers et avait connaissance de contaminations bactériologiques, voire virologiques sur certains forages ». Dans le détail, l’enquête révèle que le Palais a autorisé « de manière implicite, mais claire », l’utilisation d’une filtration inférieure à 0,8 micron. Alors que l’Agence nationale de sécurité sanitaire autorise la filtration des eaux minérales avec un filtre spécifique de 0,8 micron. En dessous, le traitement des eaux est considéré comme de la désinfection. Et c’est justement une microfiltration à 0,2 micron que le groupe Nestlé a utilisé dans ses usines du Gard et des Vosges.
L’affaire débute en 2021
Rembobinons. En 2021, Nestlé Waters révèle ses pratiques au ministère de l’Industrie. Une concession qui ne doit rien au hasard. Le groupe venait d’apprendre que la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) enquêtait sur Alma, un autre poids lourd de l’eau minérale en bouteille (Cristalline, Vichy Célestins, Saint-Yorre…). En cause, là aussi, des microfiltrations inférieures au seuil de 0,8 micron. Le groupe profite de ses révélations pour entamer son opération de lobbying. Une première rencontre est organisée avec la ministre chargée de l’Industrie Agnès Pannier-Runacher – aujourd’hui ministre de la Transition écologique – et la DGCCRF.
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À ce moment-là, Nestlé décide d’une stratégie offensive. Faire valoir, sans preuve, que ces traitements n’ont pas affecté la sécurité alimentaire ni la composition de l’eau. En guise de bonne volonté, il présente aussi un « plan de transformation » qui vise à remplacer les susmentionnés traitements par une filtration très fine à 0,2 micron, toujours inconforme au cadre juridique. Ce qui ne l’a pas empêché d’obtenir une dérogation lui permettant d’utiliser ses filtres non autorisés. « Un groupe industriel peut faire du lobbying, mais Nestlé est allé très loin en voulant faire changer les réglementations et cette demande lui a été accordée », peste Antoinette Guhl, vice-présidente de la commission d’enquête, auprès du JDD.
« Tous les étages de l’État avaient connaissance de cette affaire »
Autre problème pour les sénateurs : les autorités n’ont pas donné suite aux révélations de 2021. Seule l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) se voit demander de travailler sur le sujet. Cette dissimulation « relève d’une stratégie délibérée », affirme le rapport, et a été abordée dès la première réunion interministérielle sur les eaux minérales naturelles le 14 octobre 2021. Un exemple emblématique des dysfonctionnements de l’action de l’État est l’intervention de Nestlé Waters pour faire modifier un rapport mentionnant des bactéries contaminant les eaux du groupe. Fait accablant : le gouvernement accepte d’édulcorer le compte-rendu et de substituer à certains paragraphes ceux rédigés par l’industriel lui-même.
Toutefois, aucun ministre n’aurait pris directement cette décision, selon le président de la commission d’enquête Laurent Burgoa. « Au niveau du gouvernement, cette affaire a uniquement été gérée par les cabinets ministériels. Les collaborateurs n’ont pas pris la mesure du sujet pour le transférer à l’étage du dessus », précise le sénateur LR auprès du JDD. Cependant, sa vice-présidente ne partage pas ce constat. « Tous les étages de l’État avaient connaissance du scandale. Ce qui n’a pas empêché Nestlé de continuer à frauder de 2021 à 2023 », affirme la sénatrice écologiste Antoinette Guhl au JDD.
Des contacts avec l’Élysée
En revanche, du côté de l’Élysée, les deux parlementaires sont affirmatifs : des contacts ont eu lieu en permanence avec l’industriel. « La PDG de Nestlé Waters, Muriel Liénau, et l’ancien secrétaire général de l’Élysée, Alexis Kohler, échangeaient régulièrement que ce soit au téléphone ou par mail », détaille l’élu LR Laurent Burgoa, qui a reçu des messages de pression des avocats du groupe Nestlé durant la commission d’enquête au Palais du Luxembourg.
Lancé début décembre, ce travail parlementaire n’est pas passé inaperçu au 55 rue du Faubourg Saint-Honoré. Emmanuel Macron lui-même a pris la plume en avril pour se plaindre directement au patron du Sénat Gérard Larcher. Le président n’a pas apprécié le scandale, après le refus de son ancien bras droit Alexis Kohler de venir témoigner à la chambre haute du Parlement. L’Élysée explique que le chef de l’État « s’inquiétait de la protection des données personnelles » de ses collaborateurs ainsi que de la « séparation des pouvoirs ». « Gérard Larcher lui a répondu par un cours de droit constitutionnel en rappelant les prérogatives du Sénat », raille le président de la commission d’enquête, Laurent Burgoa.
En outre, « les conclusions de cette commission prouvent que nous sommes face à un scandale d’État qui remonte jusqu’à l’Élysée et un scandale sanitaire car des risques de santé publique ont été pris », s’insurge la vice-présidente de la commission, Antoinette Guhl, auprès du JDD. De son côté, le président Laurent Burgoa préfère parler de « graves dysfonctionnements » car « il n’y a pas eu de cas avéré de contamination ». Ce mercredi 21 mai, lors de la séance de questions au gouvernement, le sénateur LR demandera aux ministres d’appliquer rapidement des normes strictes en matière de microfiltration.
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