C’était la crainte de tous les observateurs politiques : un second tour si serré que, de contestation en contestation, de protestation en protestation, la Roumanie allait basculer dans une sorte de chaos postélectoral. La victoire nette de Nicusor Dan, maire de Bucarest, à la présidentielle, a écarté le risque de ce scénario de désastre dans un pays déjà fragilisé par l’annulation du scrutin de décembre dernier. La défaite du candidat nationaliste, George Simion, à l’inverse, a valeur de leçon. Au quartier général de Dan, Nicholas Casey, l’envoyé spécial du New York Times, ironisait sur l’enseignement de la soirée : « Il faut croire que le concept du “Make America Great Again” ne fonctionne qu’en Amérique. » Canada, Roumanie, et peut-être Pologne la semaine prochaine, où le candidat du PiS, Karol Nawrocki, s’est affiché avec le président américain pendant la campagne présidentielle…
En Europe, parmi les leaders de la droite nationale, seuls Marine Le Pen et Jordan Bardella évitent scrupuleusement d’être associés à la marque Trump. Maga, avec ses méthodes et ses slogans, est un produit qui s’exporte mal. George Simion avait, en effet, américanisé sa campagne à outrance. Casquettes « Make Romania Great Again », chanson YMCA en musique d’ambiance, usage excessif des réseaux sociaux, accusations lancées aux médias roumains de produire des fake news, refus d’aller dans les débats, alignement sans la moindre nuance sur la politique étrangère de l’administration Trump et même drapeaux américains dans les rassemblements…
Et la présence de seconds, voire de troisièmes couteaux des campagnes du président américain, tous en expédition à Bucarest auprès de Simion : Jack Posobiec, commentateur de l’alt-right aux tendances conspirationnistes, William Branson Donahue, président de l’influente organisation College Republicans of America, qui disait ouvertement s’intéresser aux minerais rares Roumanie, mais aussi Tom Dans, que nous avions rencontré au Groenland pour le JDD il y a quelques mois, frère de Paul, l’architecte du Projet 2025 de l’Heritage Foundation… Pour ne citer qu’eux.
Manne financière européenne
La greffe Maga n’a pas pris dans les Carpates. George Simion a même, au soir des résultats, tenté de se proclamer vainqueur en tweetant sur X : « Je suis le nouveau président de la Roumanie » (tout en utilisant l’émoji du drapeau du Tchad, il est vrai très ressemblant). Ce copier-coller ne pouvait fonctionner chez un candidat aussi eurosceptique. Simion vilipendait Bruxelles mais donnait l’impression de s’aligner sur Washington. L’attitude avait de quoi surprendre. Car l’Europe a été très généreuse avec Bucarest.
Depuis son adhésion en 2007, la Roumanie a vu affluer plus de 100 milliards d’euros en provenance des caisses de l’Union européenne. Une manne financière colossale qui fait d’elle l’un des plus grands bénéficiaires nets du budget communautaire. À titre de comparaison, Bucarest n’a versé qu’environ 30 milliards d’euros en contributions sur la même période – autrement dit, pour chaque euro investi, la Roumanie en a reçu plus de trois. Davantage que la promotion d’une vague idée européenne, il s’agissait concrètement de survie économique dans un pays qui a le déficit le plus élevé de l’Union avec plus de 9 %. Et puis, autre trait trumpien, il y a eu ces tentatives, particulièrement aux dernières heures de la campagne, alors que les sondages se resserraient, de faire croire à des fraudes massives.
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Le climat d’hostilité envers Paris, et en particulier envers Emmanuel Macron, a frôlé parfois la francophobie
La Roumanie n’avait pas fini de voter que les équipes de Simion dénonçaient l’ingérence de la France, soupçonnée – on ne sait encore comment, faute de preuves – d’avoir manipulé le scrutin chez les Moldaves de nationalité roumaine ou dans la diaspora française. Le climat d’hostilité envers Paris, et en particulier envers Emmanuel Macron, a frôlé parfois la francophobie. Cristian Preda, professeur de sciences politiques à l’université de Bucarest, ancien conseiller du président Basescu et ex-député européen, résumait le ton de Simion : « La France est devenue l’ennemie car, dans son esprit, c’est Paris qui veut contrôler la Roumanie. Pire, elle voudrait la coloniser ! »
Macron, « l’europhile », « le mondialiste », n’est certes pas un modèle à Bucarest, mais l’image de la France, d’Edgar Quinet au général de Gaulle en passant par Paul Morand, reste celle d’une amie fidèle aux cultures et aux langues proches. Il suffit de se promener dans la capitale pour voir à quel point Paris a influencé Bucarest. L’Hexagone, troisième investisseur étranger en Roumanie, est également un partenaire commercial majeur : Dacia, filiale de Renault, mais aussi Michelin ou encore Thales, sont implantés dans ce cœur latin des Balkans devenu une sorte d’atelier français aux confins de l’Europe.
Émergence d’une périphérie
Au soir de la victoire de Dan, les soutiens du maire de Bucarest se pressaient d’ailleurs pour s’excuser auprès de la France… Comme si chaque journaliste venu de Paris avait passé une mauvaise semaine. On frôlait l’obséquiosité. « J’ai vécu dix ans en France et chaque fois que je me rendrai dans votre pays, j’irai m’excuser pour les propos inacceptables que Simion a tenus. Personne ne pourra abîmer notre amitié », s’empressait de nous dire George Gima, député de L’Union sauvez la Roumanie (USR), parti fondé par Dan.
Daniel Enachescu, vice-maire du secteur 3 de Bucarest, nous enjoignait de « faire passer les remerciements de son peuple pour la présence de l’armée française en Roumanie [1 500 soldats, notamment à Cincu et Constanta, NDLR] ». Dan lui-même, qui a fait ses études de mathématiques en France, est un francophile convaincu… On comparait les capacités de chaque candidat à parler la langue de Molière. « Dan la parle. Simion la massacre », jugeait Enachescu. Il reste cependant des points communs avec la dernière campagne présidentielle américaine. La Roumanie s’est découvert une périphérie hermétique à la mondialisation, celle de ses villages aux routes mal carrossées, où l’on croise encore des carrioles tirées par des ânes, loin de la société diplômée et amoureuse de la France de Bucarest. Le trumpisme à la roumaine ne les a pas suffisamment convaincus. La Roumanie n’ayant pas voulu devenir un terrain d’essai de cette politique venue d’outre-Atlantique. Si elle veut survivre, il lui faudra retrouver sa voix propre.
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