
Depuis plusieurs décennies, la Silicon Valley incarne à elle seule l’avant-garde technologique, ce centre névralgique californien qui a vu éclore l’Internet, les réseaux sociaux, puis les applications de la blockchain. Mais les actifs numériques, et plus largement la finance digitale, ne sont plus l’apanage de la côte Ouest américaine. Désormais, le front de l’innovation se déplace aussi, géographiquement et culturellement, vers des régions longtemps tenues pour périphériques : Golfe persique, Asie centrale, Afrique orientale. Ce recentrage illustre une vérité plus large : dans un monde multipolaire, les hubs de croissance et d’innovation ne sont plus circonscrits aux anciennes capitales du capitalisme financier.
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Des règles juridiques plus souples et un carcan administratif moins lourd qu’en Occident
Cette tendance traduit une reconfiguration structurelle, portée par des juridictions capables d’offrir un mélange inédit de clarté juridique, d’agilité réglementaire et d’ouverture technologique. Ainsi, tandis que les grandes puissances se débattent avec leurs carcans administratifs et politiques, des centres émergents comme Dubaï, Singapour ou Astana façonnent discrètement mais sûrement les standards de demain.
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La géographie de l’innovation, souvent pensée comme déterminée par les concentrations historiques de capital et de talent, est remise en cause dans le cas des cryptomonnaies : lenteur des bureaucraties occidentales, hésitation idéologique face aux actifs numériques, judiciarisation excessive de toute prise de risque. A contrario, ces nouveaux pôles s’appuient sur une conception moderne de la régulation : non comme une entrave, mais comme un socle. En paraphrasant Hayek, on pourrait dire que la loi, pour encourager la liberté entrepreneuriale, doit se faire prévisible, simple et stable. C’est dans cette philosophie que s’inscrit, par exemple, l’Astana International Financial Centre (AIFC), dont le droit est calqué sur la common law britannique, et qui a su offrir un cadre juridique lisible aux entreprises du Web3.
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L’Europe, une puissance normative contraignante
La France, et plus largement l’Europe, doivent méditer cette leçon de géopolitique financière. À vouloir toujours repousser l’encadrement des cryptomonnaies ou les encadrer a contrario par des normes trop lourdes (comme certains aspects du régime MiCA), elles risquent d’assister, en simples spectateurs, à la migration de l’innovation vers d’autres terres.
Nous savons que les actifs numériques — tokens, cryptoactifs, jetons de titres, NFTs — se situent à l’intersection du droit, de la finance et de la cybersécurité. Ce ne sont donc pas de simples gadgets spéculatifs, mais bien des briques fondamentales d’une infrastructure économique future. Leur développement nécessite non seulement une architecture technique robuste, mais aussi une confiance dans le cadre juridique et fiscal qui les encadre.
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Le cas du Kazakhstan et de l’Astana International Financial Centre (AIFC) : un modèle attractif
L’expérience de pays comme le Kazakhstan est de ce point de vue éclairante. Non pas que nous devrions calquer notre modèle sur celui d’Astana, mais nous devons reconnaître que l’alliance d’un droit moderne, d’une fiscalité attrayante, d’un dialogue fluide entre autorités et innovateurs, permet des résultats tangibles. En moins de deux ans, l’AIFC a vu se structurer un véritable écosystème : échanges régulés, institutions financières partenaires, intégration avec les banques domestiques, et surtout une attractivité croissante auprès d’investisseurs internationaux. Le Kazakhstan n’a pas prétendu remplacer la Silicon Valley, mais il a démontré qu’un terreau institutionnel fertile permet à l’innovation de germer même là où on ne l’attendait pas.
En France, un besoin profond de simplification
Or, la France a des atouts : excellence mathématique, expertise juridique, tradition entrepreneuriale. Mais elle ne pourra rester dans la course sans une réforme profonde de ses régulations financières, de ses procédures d’agrément, de la fiscalité sur les plus-values numériques, et surtout sans un aggiornamento de sa doctrine : cesser de voir les cryptoactifs comme un Far West à dompter, pour les considérer comme un levier stratégique.
Il faut offrir aux start-ups françaises un environnement stable, attractif et interopérable avec les normes anglo-saxonnes dominantes
Dans ce cadre, il est crucial de ne pas répéter l’erreur de l’énergie ou de l’intelligence artificielle, où l’idéologie a pris le pas sur la raison économique. Il faut offrir aux start-ups françaises un environnement stable, attractif et interopérable avec les normes anglo-saxonnes dominantes. C’est à ce prix que nous éviterons une énième fuite des talents.
Monnaie numérique : un enjeu de souveraineté économique
Derrière cette question de régulation, c’est aussi notre souveraineté économique qui est en jeu. Dans un monde où les protocoles deviennent les nouvelles infrastructures (comme Ethereum ou Bitcoin ont pu l’être), il ne s’agit pas seulement d’encadrer les acteurs, mais de contribuer à l’élaboration des standards eux-mêmes. Le rôle de la puissance publique devrait être de permettre l’expérimentation contrôlée, de soutenir la recherche fondamentale (cryptographie, preuve zéro connaissance, scalabilité) et d’incuber des projets locaux.
Au fond, l’économie numérique du XXIe siècle ressemblera à un archipel de micro-juridictions technophiles, entre États-nations réformateurs et zones spéciales autonomes. Car, comme l’a montré le cas d’Astana, l’avenir des actifs numériques ne se joue déjà plus uniquement dans la Silicon Valley, mais aussi dans les enceintes ouvertes, souples et visionnaires de ces nouvelles places fortes de l’innovation.
*Sébastien Laye est entrepreneur et économiste. Il est l’auteur d’un rapport pour l’association Contribuables associés : « La simplification administrative, sortir de l’enfer bureaucratique français. »
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