Décembre 2023, bureau du président du Sénat. Les lambris grincent, les mines sont graves, les stylos alignés au garde-à-vous. Gérard Larcher écoute, jauge, arbitre. À sa droite, Bruno Retailleau affine l’article 4 bis du projet de loi immigration, celui qui doit verrouiller les métiers en tension. À sa gauche, un homme se tait. Mais c’est son texte que les autres dissèquent. François-Noël Buffet, président de la commission des lois, raye une tournure trop molle, rectifie une virgule, ajoute une précision sur les contrôles. Les articles les plus durs, c’est lui qui en est à l’origine. Lui qui tient la plume pendant que les autres parlent. Dans ce bureau feutré où se jouent les équilibres, il réfléchit déjà en ministre.
Un an plus tard, François-Noël Buffet est à Beauvau sous la tutelle de Bruno Retailleau. Hors caméra. Son titre ? Ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’Intérieur. Formel, flou. Mais son champ d’action, lui, est très large. Quatorze attributions, pas de portefeuille dédié, mais un périmètre à faire pâlir un préfet. L’administration territoriale, les sapeurs-pompiers, les polices municipales. La sécurité privée, celle des transports, celle des élus. La prévention de la délinquance, de la radicalisation, les amendes forfaitaires. Et ce n’est pas tout : cybersécurité, intégration, asile, gens du voyage. Jusqu’aux élections, où il est en première ligne sur la proportionnelle et la réforme Paris-Lyon-Marseille. « Il suffit de lire sa fiche de poste pour comprendre pourquoi Retailleau s’est battu pour lui décrocher le job », glisse un poids lourd du gouvernement.
Entre lui et Bruno Retailleau, l’entente ne date pas d’hier. Les deux hommes se sont apprivoisés au Sénat, au gré de rapports fouillés et de stratégies partagées. Le tandem fonctionne à la perfection. Quand le patron arbitre une crise, se déplace ou mène campagne, Buffet tient la boutique. En séance, il répond parfois à sa place. En mission, il le remplace. Ce fut le cas récemment, en Espagne, lors du sommet de la Coalition des pays européens contre le crime organisé. Toujours présent, jamais envahissant. Jamais il ne tire la couverture à lui. « Nous formons un binôme complémentaire, un vrai duo, glisse Buffet au JDD, qui souligne une relation d’une fluidité et d’une confiance absolue, voire de complicité. » Il a d’ailleurs été l’un des premiers à saluer la victoire écrasante de Retailleau à la présidence des Républicains. Le Vendéen, lui, renvoie l’ascenseur sans modération : « François-Noël Buffet, c’est une force tranquille. C’est un homme qui allie la solidité et la sérénité. Je l’ai vu, par exemple, lorsque nous nous sommes rendus à Mayotte après le passage du cyclone Chido, dans des conditions difficiles, au milieu d’une situation dramatique. Cette force tranquille, c’est bien sûr l’expression d’un tempérament mais aussi d’un parcours : celui d’un élu enraciné, d’un sénateur respecté, d’un homme qui a dessiné sa trajectoire politique par l’expérience et l’exigence. Cela me plaît. Cela me parle. J’ai beaucoup de chance de l’avoir à mes côtés. »
Fin juin, François-Noël Buffet rendra les conclusions du Beauvau de la sécurité civile et de celui des polices municipales. Deux chantiers conduits au cordeau, sans gesticulations. Deux réformes de fond, pensées pour durer. « Les polices municipales jouent un rôle central dans le continuum de sécurité. Il faut accroître leurs prérogatives, renforcer leurs moyens d’action », plaide-t-il. Une loi sera déposée dans la foulée.
Buffet ne joue pas au dur. Il l’est. Ceinture noire de judo, maire d’Oullins pendant vingt ans, sénateur du Rhône depuis 2004, président de la commission des lois pendant trois ans : il s’est forgé à l’ancienne, à la lecture exhaustive des dossiers, pas à la lumière des plateaux. « Loyal, compétent, efficace, gros bosseur, avec un vrai ancrage territorial, loue Gérard Larcher. Un élu de terrain, un parlementaire respecté, un légiste redouté. C’est là qu’il a bâti sa réputation : travailleur, intransigeant, mais toujours mesuré. » Un homme de fond, là où d’autres préfèrent la forme.
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Cette semaine, il a présenté les chiffres bruts des violences contre les élus : 2 501 faits recensés depuis janvier, selon le Centre d’analyse et de lutte contre les atteintes aux élus (CALAE). Soit 40 à 50 agressions par semaine. « Ce ne sont pas les coups qui dominent, précise-t-il. C’est le harcèlement, les menaces, la violence verbale et numérique. » Une hostilité diffuse, mais constante. « Elle touche partout : grandes villes, petites communes, ruralité », ajoute-t-il, le visage grave. Et pas seulement les élus. Début mai, un pompier a été fauché à Évian par un chauffard. Buffet n’arrive toujours pas à « se sortir ce drame de la tête ».
Son livre de chevet ? Un ouvrage érudit sur le château de Chantilly
Sur le terrain, il aime voir, toucher, comprendre. À La Grande-Motte, il enfile un casque de pompier, saisit un canon à eau – « pratique pour se brosser les dents », plaisante-t-il. Un objet semblable trône aujourd’hui sur la cheminée de son bureau : un casque personnalisé, offert lors de son tout premier déplacement, en janvier, à Annecy. À Pignan, il trinque avec les gendarmes autour d’un plateau de charcuterie et d’un verre de Languedoc. Des séquences qu’il affectionne. Pas pour l’image. Pour le lien. « Je suis heureux à ma place, confie-t-il. Mon objectif, c’est d’œuvrer pour l’intérêt des Français. »
Le personnage est aussi singulier que son téléphone, qui sonne sur les répliques des Tontons flingueurs. Son chat, Vanille, 5 ans, s’invite régulièrement sur ses photos personnelles. Son livre de chevet ? Un ouvrage érudit sur le château de Chantilly. Mais il ne dédaigne ni les manuels de mécanique ni les livres de recettes. Pas d’esbroufe, pas d’affichage. Peu d’ambition proclamée, mais une autorité qui s’installe en silence. « Dire qu’on ne pense pas à la censure serait mentir », glisse-t-il, sans emphase. Manière de reconnaître qu’il peut sauter à tout moment. Le sénateur Paul Vidal, qui occupe son siège au palais du Luxembourg, en a le sommeil perturbé. Buffet, lui, n’est pas dans le coup d’après. Avec Retailleau à la tête des Républicains et un ministère de l’Intérieur où les missions sont légion, il aura – quoi qu’il arrive – du pain sur la planche.
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