Quatre jours de tournée dans les pays du Golfe début mai pour le VRP des États-Unis Donald Trump, reparti avec à la clef 1 200 milliards de dollars de contrats. L’Europe, en quête de nouveaux marchés, a assisté, impuissante, à la rafle de contrats sur lesquels ses propres industries sont en concurrence. Trump, dans chaque capitale où il est passé, a tenté d’imposer son deal : vous achetez 100 % US, 0 % Europe… Résultat : le Qatar annonce une commande record pour Boeing, 160 appareils pour un montant proche des 200 milliards de dollars. Un marché sur lequel Airbus s’était positionné. Furieux, le commissaire européen au Marché intérieur et à l’Industrie, le Français Stéphane Séjourné, décroche son téléphone pour appeler le Premier ministre du Qatar. « Vous étiez en discussion avec Airbus, lance Séjourné.
– Ne vous inquiétez pas, Boeing ne pourra pas soutenir le rythme et fournir assez d’appareils en temps voulu, il y aura une part pour Airbus, lui répond le Qatari.
– Faites attention, plaisante le commissaire européen pour détendre l’atmosphère, les Boeing perdent leurs portes en vol ! » L’échange se conclut sur un éclat de rire. L’anecdote en dit long sur la nervosité qui règne à Bruxelles.
Kidnapping des entreprises
L’Union européenne est prise en étau par Donald Trump : d’un côté, le délai de 90 jours sur la négociation des droits de douane imposé par Washington, dont le cadre n’est pas défini, et de l’autre la pression de l’Américain pour fermer des marchés à l’Europe et organiser le kidnapping de ses grandes entreprises. Pris de vitesse dans le golfe arabo-persique, le commissaire Séjourné lorgne sur les marchés sud-coréens, mexicain et indien. Ce dernier pourrait être porteur pour le français Danone – les Indiens consomment énormément de produits laitiers –, comme pour Airbus ou l’industrie automobile allemande. Or l’Inde reste encore largement fermée, à charge pour l’Union d’entamer des discussions pour un accord de libre-échange. Plus surprenant, les principaux débouchés identifiés pour les industries européennes sont… en Europe même.
« Les échanges avec la Chine, qui nous envahit de produits à bas coûts, sont moins contrôlés et moins contraints que les échanges entre États membres de l’Union », s’indigne un haut dirigeant de l’exécutif européen. D’où l’idée de travailler à un Buy European Act instaurant la préférence européenne comme critère des commandes publiques notamment. Reste à savoir si ce qu’a fait Biden en six mois avec l’Inflation Reduction Act – 400 milliards de dollars – est compatible avec l’inertie et les divisions de l’Union. En attendant, l’accord du Mercosur, sur lequel la France est désormais seule contre 26 à émettre des réserves, est remis sur les rails, à grande vitesse. Signature finale imminente…
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La mère des batailles est de se prémunir de l’ogre chinois
À l’attaque et en défense, face au bulldozer Trump, les Européens s’organisent. Depuis son arrivée dans le Bureau ovale, le président américain invite tout ce que l’Union compte de grands patrons et de capitaines d’industrie, pour un déjeuner à Mar-a-Lago ou une réunion dans le Bureau ovale, sur l’air de « venez installer votre siège et vos usines dans le paradis fiscal américain ». La Commission européenne a donc alerté ses émissaires. Dès la rumeur d’une prise de contact de l’administration Trump avec un grand patron à Berlin, Francfort, Rome, Turin ou Madrid, les commissaires ou leurs administrateurs sont chargés de prendre contact avec eux pour les sensibiliser aux enjeux économiques, voire les rassurer sur la suppression de normes, de contraintes. On en est là. L’urgence est telle qu’à l’image des chefs d’État français et allemand, la Commission sonde les secteurs d’activité pour, à la carte, « shooter » réglementations et entraves que les pesanteurs, jusqu’ici, rendaient impossibles à résoudre. Le fameux CS3D sur la surveillance par les entreprises sur l’ensemble de leur chaîne de valeurs, de critères sociaux et environnementaux devrait tomber.
L’Europe passoire
Enfin, la mère des batailles, à entendre les experts bruxellois, est de se prémunir de l’ogre chinois. En imposant à Pékin un contrôle sur ce qui sort de ses frontières et en renforçant aux frontières de l’Europe ce qui rentre. Problème, tout le monde ne joue pas le jeu. « Au port du Havre, les contrôles permettent de rejeter un produit sur 2 000 en provenance de Chine, à Rotterdam, c’est un sur deux millions », dénonce un haut fonctionnaire européen. Une façon d’illustrer les faiblesses de l’Europe passoire, submergée par le flux en provenance de l’empire du Milieu. La résistance envers la Chine est sans doute la plus décisive à moyen et long terme. Elle se joue maintenant, « avant qu’il ne soit trop tard et que les Européens s’aperçoivent à quel point la promesse de prospérité sur laquelle s’est bâtie l’Union était une chimère », conclut un membre de l’exécutif bruxellois.
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