
Fin de vie et fin du monde : deux seuils critiques. Le premier, discuté au Parlement, ouvrirait une aide à mourir sous conditions ; le second, plus global, nous engage dans une transition écologique majeure. Les voici liés. Le 2 mai dernier, la commission des affaires sociales a affirmé le « libre choix de la fin de vie ». C’est maintenant à l’ensemble de l’Hémicycle de se prononcer. Sans se douter qu’il tranchera un nœud gordien. Celui de notre rapport au vivant.
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À première vue pourtant, rien n’est bouleversé. Qu’un être fragile parte un peu plus tôt que prévu, que ce départ soit volontaire, qu’il lui épargne son lot de souffrance et de coûteux médicaments, voilà qui ne devrait guère peser sur nos consciences suffisamment tourmentées par l’écoanxiété. Une étude de l’ADEME, publiée en juillet 2023, révèle que l’empreinte carbone individuelle, après avoir atteint son minimum chez les 35-49 ans (7,9 tonnes), remonte à mesure que l’âge vieillit, culminant à 8,4 tonnes chez les plus de 65 ans. Rien que dans le secteur de l’autonomie, le Shift Project relevait que les établissements consomment chaque année 190 millions de litres de fioul.
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Ces données, bien entendu, visent à éclairer des enjeux nécessaires d’adaptation et de transition, non à hiérarchiser des vies. Pourtant, dans une perspective strictement utilitariste, elles pourraient être détournées à d’autres fins. La même logique qui pousse les plus extrémistes à ne pas enfanter au nom des tonnes de carbone évitées. Il y aurait un intérêt à abréger les souffrances de ceux qui de toute façon n’attendent plus que la mort.
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Pour mieux comprendre cette logique, il faut lire attentivement Peter Singer, philosophe et antispéciste de renom. « J’ai une éthique, l’utilitarisme, qui est très exigeante », confie-t-il au Monde. « Elle suppose d’essayer de réduire la souffrance et d’accroître le bonheur et le plaisir, pas seulement pour soi, mais aussi pour les autres. » Pour Peter Singer, la valeur d’une vie ne réside pas dans son appartenance à l’espèce humaine, mais dans sa capacité à ressentir plaisir ou souffrance.
L’argument semble implacable. Si l’on s’y tient, il mènera une autre vision de l’écologie à l’abîme. Celle d’une écologie non contente de compter l’hypothétique somme de nos souffrances et plaisirs. Cette écologie-là, c’est celle du défunt Pape François, qui dans Laudato Si, fustigeait la « culture du déchet ». « La culture du déchet affecte aussi bien les personnes exclues que les choses, vite transformées en ordures », écrivait le pape en 2015, qui n’avait pas de mot assez dur contre le consumérisme.
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Facile à dire, rétorquera-t-on. En ouverture des discussions du texte sur la fin de vie, son rapporteur, Olivier Falorni, traduisait une expérience partagée par tant de familles : « il n’y a rien de plus beau que la vie, mais il y a bien pire que la mort ». Il faut entendre cette souffrance, la soulager et l’accompagner. D’où l’importance de développer les soins palliatifs, deuxième volet de la loi sur la fin de vie. Depuis 2005, la loi reconnaît aussi le refus de l’acharnement thérapeutique. Les actes médicaux « ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable ».
La vie, aussi fragile soit-elle, porte en elle une dignité inaliénable. Elle porte aussi un espoir
Sauf qu’entre laisser mourir et faire mourir, il y a un gouffre. Un basculement silencieux, mais décisif. Celui d’une société qui, sous couvert de compassion et d’efficacité, pourrait glisser vers une logique comptable de la vie humaine. Dans De l’Âme, l’écrivain François Cheng nous questionne : « Les humains dont l’esprit est frappé d’un handicap seraient-ils donc à reléguer dans une zone d’exclusion signalée par la pancarte « Inutiles ? ». La vie, aussi fragile soit-elle, porte en elle une dignité inaliénable.
Elle porte aussi un espoir. Celui de faire face, envers et contre tout. Si l’écologie nous porte autant, c’est qu’elle naît dans la volonté de préserver une vie belle et fragile. Le mot de la fin revient à Olivier Goy. Atteint de la maladie de Charcot, son corps l’emprisonne un peu plus chaque jour, lui qui s’exprime désormais grâce à une intelligence artificielle. « J’ai décidé de vivre jusqu’au bout et d’utiliser chaque minute de mon temps pour améliorer les choses. », dit-il au Figaro. Puisse cette conviction devenir la boussole de notre avenir commun.
*Paul de Breteuil est le directeur général d’Écologie Responsable, un institut de réflexion qui défend une écologie enracinée.
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