En fin d’après-midi, ce mardi 3 juin, François Bayrou a reçu les Écologistes à Matignon. La secrétaire nationale Marine Tondelier, la cheffe des députés Cyrielle Chatelain, la députée Charlotte Soulary et la sénatrice Mélanie Vogel ont évoqué la proportionnelle avec le Premier ministre. Étant donné que les Verts sont favorables à un changement de mode de scrutin basé sur des circonscriptions régionales, la discussion était moins volcanique que la veille. Ce lundi 2 juin, c’était le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, le chef des députés de droite Laurent Wauquiez et le patron des sénateurs LR Mathieu Darnaud qui étaient invités à aborder le sujet.
À la sortie, sur le perron de Matignon, Bruno Retailleau n’a pas retenu ses coups contre ce mode de scrutin « qui pourrait déséquilibrer les institutions de la Ve République ». Le ministre de l’Intérieur et désormais président des Républicains a même assuré que « toutes les options étaient ouvertes » sur son éventuel départ du gouvernement, s’il était contraint de défendre le projet de loi instaurant la proportionnelle aux législatives. À ses côtés, Laurent Wauquiez n’y est pas allé de main morte non plus. Il s’est dit « consterné » par l’entretien avec le chef du gouvernement et a dénoncé un « tripatouillage des règles électorales ».
« Ce mode de scrutin institutionnalise l’instabilité politique »
Le candidat défait à la présidence des Républicains met la pression depuis plusieurs semaines sur ce sujet, en passe de devenir un serpent de mer. Le groupe qu’il préside à l’Assemblée nationale, par le biais d’Alexandre Portier, a déposé une proposition de loi pour entraver la démarche de François Bayrou. Elle vise à inscrire dans la Constitution le mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours, soit le système actuel. Les Républicains n’ont jamais caché être des adversaires de longue date de la proportionnelle. « La famille gaulliste y a toujours été opposée car elle institutionnalise l’instabilité politique et le régime des partis », rappelle le sénateur LR Max Brisson au JDD.
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Un argument qui a le don d’agacer Richard Ramos. « C’est des conneries. Les Républicains s’appuient sur un vieux fond de sauce pour essayer de faire la salade du moment », lance le député MoDem auprès du JDD. « Le vrai sujet, c’est que Laurent Wauquiez veut faire sortir Bruno Retailleau du gouvernement pour reprendre l’avantage sur lui », assure-t-il, étant lui-même « très réservé » sur la proportionnelle. Mais Richard Ramos a aussi dans le viseur le patron de Renaissance, qui refuse également tout changement de mode de scrutin. « Gabriel Attal a décidé d’être contre tout pour exister. Je suis sûr que la majorité des députés Renaissance est favorable à la proportionnelle si on fait un vote à bulletin secret », croit-il savoir.
Auprès du JDD, le député macroniste Sylvain Maillard dément cette affirmation : « L’ultra majorité de notre groupe à l’Assemblée nationale est défavorable à tout changement du mode de scrutin ». Il y a plusieurs mois, Gabriel Attal avait chargé Pierre Cazeneuve de mener une réflexion sur le sujet. Le député des Hauts-de-Seine a construit une analyse comparative des différentes proportionnelles existantes avec une vingtaine de députés Renaissance. « On en a tiré la conclusion que le système actuel est le moins pire car la proportionnelle construit l’impuissance publique », souligne Sylvain Maillard. Certains ne l’entendent toutefois pas de cette manière. La présidente du Palais-Bourbon Yaël Braun-Pivet ou la ministre de l’Éducation nationale Élisabeth Borne restent des ferventes avocates de la proportionnelle.
Horizons est un autre groupe politique du Socle commun qui y est hostile. Fin mai, sortant d’un entretien avec le Premier ministre à Matignon, le président du parti et candidat déclaré à l’élection présidentielle, Édouard Philippe, a rappelé sa position sur le sujet : « Le scrutin proportionnel a plus de chance de perpétuer ce que nous voyons aujourd’hui, c’est-à-dire l’absence de majorité ». « Cette posture n’a rien d’étonnante car Horizons, c’est le classicisme. C’est devenu la quintessence de ce qu’était l’UMP », raille le député MoDem Richard Ramos.
Malgré l’opposition des partis composant le gouvernement, François Bayrou ne semble pas vouloir lâcher l’affaire. Il continue de consulter les mouvements politiques sur ce qui est son cheval de bataille depuis trois décennies. Il le défend au nom de la représentativité, sur le modèle de 1986, seule élection de ce type de l’histoire de la Ve République, adoptée par François Mitterrand et immédiatement abrogée par la droite deux ans plus tard. Dans son combat, le Premier ministre compte un allié de taille : Marine Le Pen. Le Rassemblement national défend également la proportionnelle de longue date. Plaidant habituellement pour une prime majoritaire – la liste arrivée première bénéficie d’un bonus –, la cheffe des députés RN est récemment apparue ouverte à un retour à la proportionnelle de 1986.
À gauche, La France insoumise pourrait aussi être un partenaire de circonstance pour François Bayrou. Pour l’instant, à l’instar des Écologistes, les mélenchonistes défendent un scrutin proportionnel à un échelon régional. « Il permet de garantir à la fois un besoin de représentativité des différents courants politiques, une exigence de gouvernabilité et de représentation territoriale, car les territoires ultramarins seraient complètement noyés dans un mode de scrutin national », a affirmé le coordinateur national de LFI Manuel Bompard début mai. De son côté, le Parti socialiste n’a pas encore tranché. Officiellement, il attend la proposition précise du Premier ministre – et la fin de son congrès – avant de se prononcer.
François Bayrou fera-t-il passer sa réforme fétiche contre la volonté de ses propres alliés et grâce aux voix de l’opposition ? « Le Premier ministre n’ira pas au bout. Il reculera quand il s’apercevra que son texte ne pourra être adopté qu’avec le vote du RN et de LFI », pressent le sénateur LR Max Brisson. « Qu’un chef de gouvernement aille contre sa majorité paraît difficile à concevoir », abonde le député Renaissance Sylvain Maillard. « C’est drôle, car ça fait des mois qu’on demande un Premier ministre qui travaille avec l’opposition et aujourd’hui, on entend dire que ça ferait tache si la proportionnelle passait grâce à elle », peste de son côté le député MoDem Richard Ramos. Le projet de loi pourrait être examiné à la rentrée au Parlement. Mais François Bayrou prendra-t-il le risque d’exploser le Socle commun et son gouvernement pour une telle mesure, même si celle-ci lui tient à cœur ?
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