Le JDD. Karol Nawrocki (PiS) succède à Andrzej Duda (PiS). Une victoire sur le fil face au candidat Rafal Trzaskowski (PO). Entre l’historien conservateur et le maire libéral et europhile de Varsovie, se sont affrontées deux visions diamétralement distinctes. Quel est votre regard ?
Romain Le Quiniou. Ce résultat est le fruit d’une campagne électorale extrêmement polarisée. Un peu à l’image de la Pologne moderne, qui depuis son indépendance fait état d’une société scindée en deux principaux blocs : d’un côté, les Polonais faisant du projet européen une priorité absolue et de l’autre, ceux davantage attachés à la nation polonaise. Sans pour autant que l’un exclue nécessairement l’autre. Néanmoins, il ne faut pas oublier que le parti Droit et Justice (PiS), qui a soutenu Karol Nawrocki ainsi que le parti Plateforme civique (PO), fondé par Donald Tusk, sont tous deux issus de la droite. Le PiS est plus conservateur et défend des valeurs plus traditionnelles, tandis que le PO est plus libéral et progressiste, mais les deux viennent d’un mouvement politique commun qui prend ses racines dans l’opposition anticommuniste et qui s’est ensuite divisé sur des questions politiques, économiques et sociétales. Ces distinctions ont ensuite été largement médiatisées par les deux partis pour rester au centre du jeu politique polonais.
Il est à noter que la polarisation polonaise, au-delà des idées, se joue aussi sur des aspects socio-démographiques. Et on le voit nettement, il y a véritablement deux Pologne : les populations plus urbaines, ayant bénéficié de l’ancrage européen, votent majoritairement pour le centre droit pro-européen et progressiste. Quant aux populations plus rurales, davantage laissées-pour-compte, le vote se porte majoritairement sur le PiS, qui défend des politiques plus nationalistes et prône des valeurs plus traditionnelles et conservatrices.
Mais ce qui est à souligner, c’est le niveau de participation record de cette élection présidentielle : un taux de participation de plus de 72 %, soit la mobilisation la plus élevée depuis ces trois dernières décennies. Quant à l’issue du scrutin, le scénario est quasiment le même que lors de la dernière élection présidentielle de 2020, où déjà le candidat europhile et libéral Trzaskowski avait été battu de peu face au conservateur nationaliste Andrzej Duda (PiS), à l’issue d’une campagne à couteaux tirés, en pleine crise sanitaire.
Enfin, cette élection est évidemment importante, mais pas capitale. Le statut constitutionnel du président polonais n’est pas comparable au régime semi-présidentiel français. Certes, le président polonais dispose de fonctions, et d’un droit de veto législatif, mais son rôle est très largement secondaire.
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Certains évoquent un choix civilisationnel ? Qu’en pensez-vous ?
Je pense que c’est largement exagéré, et que les Polonais se sont avant tout saisis de cette élection présidentielle pour sanctionner le gouvernement de Donald Tusk.
Cette élection inaugure le grand retour du parti Droit et Justice (PiS) dans le paysage politique polonais… Ainsi que la fragilisation du gouvernement de Donald Tusk.
Oui, et cette percée risque de se prolonger puisque les élections législatives, qui auront lieu en 2027, approchent. Le président Nawrocki jouera en ce sens un rôle politique très important, mais ce dernier se cantonnera à un champ purement domestique, de l’ordre de l’influence et du débat des idées, en accaparant le paysage médiatique et politique.
Le gouvernement de Donald Tusk en sortira affaibli, d’autant plus que sa coalition au pouvoir n’aura pas les mains libres pour procéder comme elle l’entend aux réformes promises lors de leur élection en 2023. L’affaire est donc à suivre. Quoi qu’il en soit, les débats futurs promettent d’être de plus en plus animés et virulents, puisque le PiS profitera de chaque occasion pour pointer du doigt les potentielles erreurs du gouvernement Tusk. Quant à l’hypothèse d’une dissolution du gouvernement de coalition, celle-ci n’est pas écartée, bien qu’elle semble pour l’heure peu probable.
Comment expliquez-vous le succès des idées conservatrices en Pologne ? La place trop importante qu’occupe l’immigration au sein de la société polonaise ? Le rejet des réformes européennes ?
Sur un sujet aussi épineux que l’immigration, Droit et Justice (PiS), comme Plateforme civique (PO), sont l’un comme l’autre pour une baisse drastique de l’immigration. Il y a donc consensus en la matière. Idem s’agissant de l’appartenance de la Pologne à l’Union européenne. Il y a certes des visions différentes sur le rôle de Bruxelles, absolument : PiS prône une ligne eurosceptique, mais pas anti-UE.
Idem concernant la politique étrangère ? Il y a consensus ?
De par son histoire récente, la Pologne et les Polonais ont toujours considéré la puissance américaine comme leur protecteur historique face à la menace russe. La remise en cause de l’alliance américano-polonaise est donc à écarter. Quant aux relations transatlantiques, l’OTAN demeure la clef de voûte de sa politique de défense. Un partenariat qui s’est vu d’autant plus renforcé depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. La volonté de renforcer le partenariat stratégique entre Varsovie et Washington est une constante au sein des différents partis au pouvoir, et c’est ce que défend le nouveau président Nawrocki, qui est un grand admirateur du président américain Donald Trump. La principale différence tient à ce que le Premier ministre Donald Tusk assume ouvertement vouloir développer la coopération européenne en parallèle du soutien apporté par les Américains.
Et qu’en est-il de la politique d’accueil à l’égard des réfugiés ukrainiens ?
Sur la question de l’accueil des réfugiés ukrainiens, les dissensions font rage. Le PiS porte depuis quelque temps un discours radical, à des fins politiques, puisque des partis de la droite plus nationale, comme Konfederacja, gagnent progressivement du terrain en surfant sur l’hostilité et les blessures mémorielles des populations polonaises de l’Est. Au-delà des considérations sociales et économiques que cette question engendre, cette dernière repose aussi sur de lourdes mémoires historiques, difficiles, entre les deux pays qui ont connu au cours de l’entre-deux-guerres puis pendant la Seconde Guerre mondiale de nombreuses guerres et des violences meurtrières. Rappelons que le nouveau président Nawrocki est aussi le directeur de l’Institut polonais de la mémoire nationale, ce qui est loin d’être neutre.
Ainsi, le débat sur la réconciliation entre les peuples polonais et ukrainien – qui s’était quelque peu tu depuis 2022 – est revenu sur le devant de la scène politique polonaise. Un sujet crucial pour le futur des deux nations, mais je constate que Droit et Justice (PiS) et le parti nationaliste et libertarien Konfederacja polarisent volontairement cette question, en flattant les peurs et émotions d’une partie de la population polonaise à l’encontre de l’Ukraine – le tout à des fins évidemment électoralistes. C’est un jeu dangereux qui pourrait créer des failles béantes dans lesquelles la Russie aurait tout intérêt à s’engouffrer, en menant par exemple des campagnes de désinformation au sein de la société polonaise. L’enjeu mémoriel est ici bien trop important pour servir uniquement à des fins politiques.
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