Le coupable était facile et je m’en excuse auprès des supporters de Liverpool. Trois ans après une autre finale de la Ligue des champions, celle qui opposait le Real Madrid à Liverpool en 2022, l’ancien ministre de l’Intérieur actuellement en poste à Vendôme demande pardon, au cours d’un entretien accordé à la chaîne Youtube Legend. Il livre alors un tout autre récit que celui qui prévalait à l’époque : « Ce que je ne sais pas ce soir-là, c’est que l’essentiel de la difficulté ne vient pas des supporters anglais, mais des délinquants de Seine-Saint-Denis qui font des razzias et pillent des supporters. » Un correctif que la majorité de la presse a préféré invisibiliser.
Trois ans après, rebelote. Certes, la victoire du PSG est éclatante, mais les destructions et pillages n’en sont pas moins réels. On évoque quelques incidents à l’antenne, on retransmet le président de la République qui condamne, dès le lendemain, des « affrontements violents inacceptables ». On s’arrête là. Qui affronte qui ? Pourquoi ? Tout juste sait-on que ces délinquants n’ont rien à voir avec les supporters – qui se rassemblent en effet sans heurts sur les Champs-Élysées le lendemain. Rien de plus. Passons à autre chose. Depuis le palais de l’Élysée, Emmanuel Macron feint la fermeté : « Nous poursuivrons, nous punirons, on sera implacables. » Le propos ne coûte pas grand-chose, la séparation des pouvoirs le rend inopérant. L’analyse s’arrête là, le président n’en parlera plus.
Sans que personne ne dise clairement les choses, chacun savait qu’il n’était pas d’abord question de football en effet, ni de supporters anglais, parisiens ou italiens. Peut-être y avait-il des fans de foot parmi les émeutiers, mais il y avait surtout beaucoup de jeunes délinquants venus des banlieues parisiennes, et largement issus de l’immigration. Français pour la plupart, sans doute, mais d’ascendance extra-européenne. Le constater n’est pas trancher le débat des causes de cette situation, ni même choisir les solutions à adopter pour mettre un terme à cette violence récurrente. C’est identifier un problème à résoudre. Outre Éric Zemmour et quelques figures de la droite et du Rassemblement national, peu l’ont formulé ainsi. Mais tous l’ont reconnu, jusque dans les rangs de la gauche la plus radicale.
Il a suffi, pour cela, que Bruno Retailleau prononce le mot « barbare », en expliquant que « la barbarie, c’est quand tout devient prétexte à la violence, au plaisir, au désir désinhibé de la destruction et du pillage ». Réactions immédiates. Le coordinateur de La France insoumise, Manuel Bompard, a par exemple dénoncé une manière « de déshumaniser une partie de la population française » avec des « relents racistes ». Racistes ? Pourquoi donc une qualification qui désigne des comportements serait-elle raciste ? Manuel Bompard trahit tout simplement ce qu’il a vu. Comme lorsque Mediapart choisit de donner la parole au politologue Olivier Le Cour Grandmaison, qui accuse Retailleau, par l’usage de ce mot, de faire « des jeunes racisés des quartiers populaires des ennemis de l’intérieur ».
Tout le monde s’entend donc sur le profil majoritaire. Et que faire, dès lors ? Seul le mot « barbare » a retenu l’attention. Le ministre de l’Intérieur a tenté d’interroger le modèle de société, mais le grave danger d’une désintégration nationale a été évacué du débat. Tentation politique récurrente : noyer tout sujet politique de fond dans une seule question sécuritaire ou judiciaire. Cette fois-ci, c’est le sujet de la politique d’immigration, d’intégration voire de reconquête qui a disparu. On a préféré se concentrer sur le seul traitement des conséquences – même importantes : retour à la polémique sur la doctrine du maintien de l’ordre d’un côté ; place à la récurrente disputatio sur la réponse pénale de l’autre.
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C’est un débat idéologique qui s’est imposé sur la justice : le gouvernement, par la voix de Gérald Darmanin, a esquissé, à nouveau, la volonté d’un changement de cap et de vision par la loi. En attendant les actes, loin des invectives stériles, le pédopsychiatre Maurice Berger encourage une énième fois la France à réaliser que ses outils ne sont plus les bons : « Les décisions sont prises à partir de l’auteur et non des dommages infligés à la victime. Nous donnons la primauté au concept de liberté individuelle, oubliant ainsi l’intérêt de la société, c’est-à-dire la protection de l’intégrité physique des citoyens en général. Nous avons une obsession de la récidive, mais il faut que certains comprennent que ça ne commence pas à être grave lorsqu’il y a récidive ! » S’il appelle à une réponse ferme, c’est parce qu’il a constaté pendant toute sa carrière que certains jeunes avaient une réelle « incapacité, voire un refus, de penser la réalité des dégâts » causés. Il faudrait que quelqu’un les y aide…
Certains voient dans cette seule perspective une atteinte à l’État de droit. Les mêmes, en général, qui accusent le dispositif de maintien de l’ordre d’être à l’origine des débordements, voire la police elle-même. De quoi décourager un peu plus une profession qui se juge abandonnée, bien qu’en première ligne… ou en dernier rempart. Même chose avec la réponse pénale. « Pour les délinquants, la justice trouve toutes les circonstances atténuantes du monde… Nous, nous avons forcément tort », résume un policier. Cette semaine, en parallèle de ces débats, deux juges d’instruction ont demandé le renvoi du policier qui a tué Nahel Merzouk aux assises, pour meurtre. « Là, personne n’évoque le casier vierge, les états de service impeccables, le regret des conséquences, ni même les circonstances de ce tir, alors que Nahel venait de mettre nos concitoyens en danger de mort par sa conduite et ses refus répétés de s’arrêter », analyse-t-il. Même son de cloche chez l’un de ses collègues : « Quand on ne bouge pas, ça ne va pas. Quand on réagit, avec les graves risques que cela comporte, la prison nous pend au nez… Franchement, nous ne savons plus vraiment ce qu’on attend de nous, et l’impunité a de beaux jours devant elle. » Un débat de plus.
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