Les jours prochains seront décisifs pour les Girondins de Bordeaux, monument du football français tombé en National 2 (quatrième division) et menacé de disparition. Vendredi, le président Gérard Lopez et ses représentants ont rendez-vous au tribunal de commerce de la ville qui doit statuer sur le plan de poursuite de l’activité d’une institution déficitaire et lourdement endettée. Si celui-ci est validé, ils se rendront le 24 juin devant la DNCG (Direction nationale du contrôle de gestion, chargée de vérifier les finances des clubs) pour obtenir l’inscription aux prochaines compétitions.
« Les dix millions d’euros exigés sont déjà provisionnés », assure au JDD l’homme d’affaires hispano-luxembourgeois. Il aurait pu avoir un concurrent en la personne d’Oliver Kahn, candidat au rachat à la tête d’un pool d’investisseurs étrangers. Mais l’ancien gardien vedette du Bayern Munich a brutalement renoncé, échaudé selon son entourage par l’examen de la « data room », ensemble d’éléments financiers mis à disposition des potentiels repreneurs.
Joint en visioconférence depuis ses bureaux aux États-Unis, Gérard Lopez n’est pas surpris. « J’ai rencontré Kahn à Londres en novembre dernier, confie le quinquagénaire, propriétaire du club depuis 2021. Je lui ai dit que j’étais ouvert à l’idée de travailler ensemble, par respect pour son grand passé de footballeur. Fin janvier, on a reçu un courrier disant qu’il avait “peut-être” 30 millions à investir. Les administrateurs judiciaires n’ont jamais obtenu confirmation de la disponibilité des fonds. Et puis il y a eu ce truc (sic) envoyé au tribunal à la veille de la dernière audience, qui faisait état de 15 millions. Il s’est ensuite retiré tout en affirmant qu’il avait 50 millions à disposition au cas où… Pas besoin de sortir d’une école de commerce pour s’apercevoir qu’il n’y avait sans doute rien. Il tentait d’acheter l’opinion pour mettre la pression mais les affaires se font avec de l’argent et des prises de risques, pas avec des clics. »
Exit donc Oliver Kahn, reste Lopez, l’une des personnalités les plus urticantes du monde du foot. « On pense ce que l’on veut de moi mais avant même ma reprise, personne ne voulait mettre un rond dans les Girondins, plaide-t-il, et surtout pas les gens qui m’en mettent plein la figure aujourd’hui. L’une des meilleures banques du monde, mandatée pour l’occasion, n’avait pas réussi à intéresser qui que ce soit. » La partie est loin d’être gagnée. Malgré trois plans sociaux en quatre ans et des décisions drastiques pour comprimer les dépenses, le club perd encore beaucoup d’argent (environ 5 millions d’euros par saison).
« On se donne les moyens de remonter sur des bases plus saines »
Quant à la dette, une fois soustraits les 42 millions qu’il a lui-même investis, Gérard Lopez l’estime à une cinquantaine de millions, qui devront être purgés sur une dizaine d’années. « GACP [l’ancien gestionnaire américain, NDLR] nous a laissé un club qui perdait 80 millions et accusait 140 millions de dettes. On a fait le maximum. Mais quand vous jouez en Ligue 2 avec 80 salariés permanents, c’était le train de vie d’un top 5 de Ligue 1. Maintenant on se donne les moyens de remonter sur de nouvelles bases, plus saines. »
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Ouvert aux investisseurs
Conscient de sa réputation sulfureuse, Gérard Lopez déroule une autre histoire, bien plus nuancée que celle des « tribunaux des réseaux sociaux » qu’il exècre. Ce qui ne l’empêche pas de fendre l’armure : « Ceux qui me veulent du mal, une trentaine d’ultras violents et quelques élus hostiles, ne représentent rien et n’affectent pas ma volonté, bien au contraire. Je suis triste de la situation actuelle pour les vrais supporters. Je veux sauver les Girondins. Bien sûr que j’ai commis des erreurs, sinon nous ne serions pas en National 2. Quand nous avons raté la remontée en Ligue 1 d’un point [en 2023], j’aurais pu trancher et entamer une cure d’austérité. Mais tout le monde, et moi le premier, était persuadé qu’on réussirait la saison suivante. Alors j’ai investi en transferts comme jamais un club de Ligue 2 ne l’avait fait. »
Salaires généreux, perspectives florissantes autour d’une équipe capable de fédérer 40 000 spectateurs pour un match de Ligue 2 : l’écosystème a pourtant implosé en quelques mois. « Le problème, poursuit-il, c’est que le traumatisme de l’été précédent n’était pas effacé, l’équipe n’y était plus, certains ne pensaient qu’à partir… S’il y a une chose que je me reproche, c’est celle-là. Mais tous les intelligents qui disent aujourd’hui qu’il ne fallait pas le faire sont les mêmes qui auraient jeté des cocktails Molotov si j’avais décidé d’entrer en redressement judiciaire à ce moment-là. Cela a finalement coûté 40 millions, pas parce qu’on est bêtes mais parce qu’il fallait respecter les contrats. On ne passe pas de 40 à 5 millions en économisant sur trois salaires de joueurs et d’entraîneur. Ça ne marche pas comme ça. »
Skype, médecine et drones
L’homme d’affaires affirme attendre sereinement la décision du tribunal. « Il travaille sur des chiffres, il n’est pas là pour juger Gérard Lopez, affirme l’intéressé. Le plan a été construit de façon professionnelle depuis de longs mois, en collaboration avec le juge commissaire et les administrateurs judiciaires. S’il est validé, je suis parfaitement prêt à accueillir de nouveaux investisseurs pour peu qu’ils soient compétents et impliqués. Et je vais même vous dire plus : s’ils sont très bons, je suis prêt à leur céder la gestion du club. Je ne fais pas ça pour mon ego, je n’en ai pas besoin. Je fais ça parce que j’aime les Girondins et que je suis persuadé qu’ils peuvent retrouver leur place au sommet du foot français. »
« Le tribunal n’est pas là pour juger Gérard Lopez »
Petit à petit, la conversation s’éloigne du ballon rond et on découvre un autre Gérard Lopez, moins sur la défensive, sincèrement passionné. Avant le foot, il y eut la Formule 1 avec Lotus, autre source de malentendu selon lui : « Les gens pensent que j’ai vendu l’écurie à Renault pour un euro symbolique [en 2015], mais je suis resté en tout quatorze ans au conseil d’administration et on a dégagé plus de 90 millions de valeur de sortie. Pourquoi serais-je resté aussi longtemps si j’avais voulu partir comme un voleur ? Lotus, c’est comme le foot à Bordeaux, à Lille, à Mouscron ou à Boavista. Je suis vu comme un fossoyeur mais ce n’est pas la vérité. J’ai souvent aidé et soutenu. » Et créé, aussi. Issu d’un milieu très modeste (« J’ai grandi une partie de mon enfance en Espagne dans une maison sans sol, toilettes ni eau chaude »), ce self-made-man hyperactif, connecté dix-huit heures par jour, fut l’un des heureux fondateurs de Skype. L’histoire a tout du rêve américain : après avoir investi quelques millions d’euros sur la plateforme de communication, il en récupèrera cinquante fois plus à la revente et connaîtra un succès encore plus grand avec Wix, une start-up de services sur Internet.
Technologie, banque, immobilier, énergie, cryptomonnaies, intelligence artificielle, l’entrepreneur fait feu de tout bois dans une économie mondialisée. Régulièrement accusé de placer sa fortune dans les paradis fiscaux, il assure penser avant tout « à l’efficacité et la sécurité juridique » de ses investissements, qui se font « en respectant strictement la légalité et l’éthique ».Parmi eux, deux le rendent intarissable : K Health, « le premier médecin virtuel », système de consultation à distance avec lequel travaillent déjà de grands hôpitaux des États-Unis et qui pourrait réduire la fracture médicale dans de nombreux pays où la santé est un privilège ; et OMD, une société de drones civils d’interception, présentés comme les plus rapides et intelligents du monde.
« On a d’autres projets qui sont classés secret militaire, souffle-t-il, mais le but est de protéger, pas d’attaquer. C’est de la défense économique et civile pour les entreprises, les sites sensibles ou publics comme les stades. Ce qui m’intéresse finalement, c’est l’invention, l’utilité et la passion. Aucun chèque au monde ne peut acheter ça. »
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