Tout commence symboliquement le 29 mai 2018. Ce jour-là, Xi Jinping convoque solennellement 1 300 chercheurs à Pékin. Devant cette armée de blouses blanches, le président chinois lance un avertissement clair : « La Chine ne doit plus se fournir chez d’autres pays pour sa technologie. » Prémonitoire, cette déclaration précède de peu les premières sanctions américaines qui plongeront bientôt les deux superpuissances dans une guerre froide technologique inédite. Depuis, Pékin déroule méthodiquement son rouleau compresseur technologique. Rien qu’en 2023, le pays a injecté 500 milliards de dollars dans la recherche et le développement, soit trois fois plus qu’en 2012 ! Dans le secteur stratégique de l’intelligence artificielle, 200 milliards alimentent près de 10 000 entreprises « innovantes ».
« En Chine, l’IA n’est pas un gadget. Elle pilote les usines, optimise la logistique, surveille les citoyens et les accompagne au quotidien », résume Lin Wei, chercheur au sein de DeepSeek, une startup emblématique des progrès chinois. En janvier dernier, DeepSeek lançait ainsi une version chinoise de ChatGPT, défiant frontalement OpenAI et Google avec une plateforme moins gourmande en énergie, rapide… et gratuite.
Le côté bénéfique des sanctions américaines
La métropole de Shenzhen, dans le sud de la Chine, à une encâblure de Hong Kong, symbolise désormais cette révolution numérique. Au point de gagner son titre de « Silicon Valley chinoise ». Là-bas, on fabrique les robots humanoïdes d’UBTech, les véhicules électriques ultra-performants de BYD Auto – désormais numéro un mondial du secteur – et les satellites d’observation commerciale les plus compétitifs du moment. Ce sont 117 satellites chinois qui scrutent ainsi chaque recoin du globe jusqu’à 40 fois par jour. Ils seront bientôt plus de 400 appareils en orbite.
L’objectif ? Écraser la concurrence américaine et détrôner définitivement le programme Starlink d’Elon Musk, grâce à une autre constellation constituée de plus de 15 000 satellites pouvant fournir un service internet global. « Le rapport de force technologique a totalement changé, constate Lin Burn-Jeng, professeur à l’université nationale de Hsinchu, à Taïwan. Les sanctions américaines ont finalement donné à la Chine l’opportunité d’améliorer rapidement et efficacement ses technologies. »
Baromètre de la santé du pays, l’immobilier s’effondre, plombant une économie déjà fragilisée par la période du Covid
Cette course aux records n’a pas de limite. Sur les mers, Pékin contrôle déjà la première flotte militaire mondiale en nombre de bâtiments, tandis que ses navires marchands assurent plus de la moitié du transport maritime mondial. Cette mainmise lui permet de peser sur l’économie mondiale en contrôlant l’ensemble des chaînes d’approvisionnement. Que la machine se grippe, comme pendant le Covid, et c’est toute l’économie mondiale qui éternue.
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Mais le cœur brûlant de cette bataille technologique se joue dans l’infiniment petit : les semi-conducteurs. Frappée par les sanctions américaines visant ce secteur crucial, la Chine accélère pour briser sa dépendance envers l’étranger, notamment celle du géant taïwanais Nvidia. Ainsi, Huawei, pourtant affaibli par Washington, a surpris le monde en équipant son Mate 60 Pro d’une puce 100 % chinoise conçue par Smic. De son côté, Xiaomi lance un plan massif de 7 milliards de dollars sur dix ans pour concevoir ses propres puces haut de gamme. Selon Morgan Stanley, la Chine pourrait atteindre 82 % d’autosuffisance dans les semi-conducteurs d’ici deux ans, contre seulement 11 % en 2021. Une progression fulgurante alors que l’Europe, elle, ne produit plus que 9 % des puces mondiales, contre 44 % en 1990. Dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, le Vieux Continent semble définitivement distancé.
Une partition dangereuse
Toutefois, derrière ces performances spectaculaires, la façade commence à se fissurer. Ces investissements coûtent très cher et le pays doit faire tourner la machine à billets rouges pour financer des secteurs qui ne survivent pour l’instant que grâce aux commandes publiques. La dette explose, l’inflation aussi, mais le Parti unique contrôle le pays d’une main de fer, évitant toute manifestation ou contradiction. Baromètre de la santé du pays, l’immobilier s’effondre, plombant une économie déjà fragilisée par la période du Covid et sept longues années de sanctions américaines à répétition. La croissance annuelle moyenne prévue par le FMI pour la prochaine décennie chute à seulement 2,8 %, contre 6 % auparavant et plus de 10 % entre 2000 et 2010.
Les scandales de corruption et les fraudes viennent aussi ternir l’image d’excellence technologique du pays. Exemple symbolique : la récente condamnation à perpétuité d’un ancien patron d’un conglomérat de semi-conducteurs pour détournement massif de fonds publics. Par ailleurs, le marché du véhicule électrique connaît une bulle spéculative majeure. La majorité des 500 startups subventionnées ces dernières années sont en faillite. Autre danger : le spectre du chômage de masse. Une étude du cabinet McKinsey estime que 102 millions de travailleurs chinois, soit près de 13 % de la main-d’œuvre, pourraient devoir changer de métier d’ici à 2030 en raison de l’automatisation. Mal formés et sans filet social, ils pourraient venir grossir la cohorte des chômeurs alors qu’un jeune sur cinq est déjà sans emploi dans le pays.
Xi Jinping prépare son pays à des scénarios extrêmes
Face à ces difficultés internes grandissantes, Xi Jinping garde pourtant le cap. Sa stratégie ? Préparer la Chine à des scénarios extrêmes, évoquant ouvertement un éventuel conflit armé avec les États-Unis. Une façon de resserrer les rangs et de préparer tous les Chinois à des jours difficiles…
Mais à vouloir tout miser sur la suprématie technologique, Pékin joue une partition dangereuse : le pari d’un avenir construit sur une muraille numérique censée protéger le pays, mais qui pourrait bien se révéler être son talon d’Achille économique et social. « Même un pays aussi vaste que la Chine a des ressources limitées, prévient Lee Branstetter, professeur à l’université Carnegie Mellon aux États-Unis. Mal utilisées, elles peuvent conduire à un désastre économique et humain majeur. »
L’ambition chinoise ressemble désormais à une fuite en avant. Car une muraille, aussi puissante soit-elle, reste fragile si ses fondations économiques et sociales sont instables. Et dans cette course effrénée vers l’autonomie absolue, la Chine risque fort de découvrir qu’une muraille, numérique ou non, finit toujours par coûter très cher.
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