C’est une étape importante qui vient d’être franchie dans l’enquête sur les conditions du tir d’un policier, en juin 2023, ayant tué Nahel Merzouk, un adolescent de 17 ans qui refusait d’obtempérer au volant d’une puissante berline, aperçue dans les rues de Nanterre en train de faire des rodéos. Importante, parce que c’est la première décision permettant de connaître la façon dont les juges du siège lisent ce dossier. Au-delà du cas particulier de leur collègue, les policiers y voient un « cas d’école » de ce qui peut leur arriver s’ils font usage de leur arme lors des refus d’obtempérer. Mardi, les juges d’instruction ont ordonné le renvoi devant la cour d’assises des Hauts-de-Seine de Florian M. pour meurtre. Autrement dit, ils considèrent, comme le parquet, que le policier a voulu tuer l’adolescent.
Dans leur ordonnance de mise en accusation, les juges reconnaissent que « l’intention homicide » ne repose pas sur une preuve directe mais sur une « présomption de faits » : l’usage d’une arme à feu létale, à bout portant et en direction du thorax de la victime. L’enquête avait pourtant établi que le policier visait à l’origine beaucoup plus bas, dans une zone non vitale, et que son tir avait été dévié par le redémarrage volontaire de la voiture. Argument qui figure bien dans les éléments à décharge relevés par les magistrats instructeurs… mais qui n’a pas suffi à emporter leur conviction.
« Cinquante mètres plus loin, des piétons auraient été immanquablement renversés »
De son côté, le policier a toujours récusé cette intention de tuer. En revanche, il assume un « tir légitime » face à ce bolide qui tentait d’échapper au contrôle et qui présentait un danger pour lui, son collègue ainsi que les passants – dont certains avaient déjà dû s’échapper en courant de sa trajectoire dans la course-poursuite qui a précédé le tir. Le policier regrette les conséquences de ce dernier, mais les impute au comportement de la victime. Non seulement il n’était pas en danger, éludent les juges, mais il ne « peut pas être soutenu [qu’il ait] senti une situation de danger ». Pourquoi ? Parce que les magistrats estiment que les policiers « ne se trouvaient pas sur la trajectoire du véhicule » et qu’il y avait suffisamment d’espace – 1,50 mètre – entre eux et le mur pour se dégager, au cas où.
Ces arguments sont contestés par la défense. L’avocat de Florian M., Me Laurent-Franck Liénard, a annoncé son intention de faire appel de cette ordonnance. Pour lui, le danger était bien réel. « Cinquante mètres plus loin, des piétons auraient été immanquablement renversés », a-t-il soutenu sur Europe 1. Or l’article 435-1 du Code de la sécurité intérieure autorise effectivement les policiers à faire usage de leur arme quand des conducteurs n’obtempèrent pas et qu’ils « sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie […] ou à celle d’autrui ».
Reste à savoir si les conditions d’absolue nécessité et de stricte proportionnalité, exigées en la matière, ont été respectées. Le parquet considérait dans son réquisitoire définitif que le policier aurait pu tirer dans les pneus, ce qui contrevient pourtant aux pratiques enseignées en école de police. Les juges affirment eux aussi qu’« il existait d’autres moyens d’immobiliser le véhicule », mais changent de piste : pour eux, il fallait attendre des renforts « qui se trouvaient à proximité immédiate ». D’ailleurs, écrivent-ils, en annonçant le refus d’obtempérer sur les ondes de la police, Florian M. « avait implicitement fait appel à des renforts ».
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Les policiers, eux, n’ont cessé de répondre qu’il y avait urgence à arrêter cette course folle. Concernant la stricte proportionnalité, un des arguments peut prêter à sourire tant il dénote le gouffre abyssal entre l’interprétation du droit et la réalité d’une intervention policière. « Aucune interpellation n’a été tentée de même qu’aucune injonction de sortir du véhicule n’a même été prononcée », taclent les deux juges d’instruction. C’est oublier un peu rapidement ce qui est pourtant précisé dans l’ordonnance de mise en accusation : que l’adolescent venait de manquer de renverser plusieurs piétons et un cycliste sur sa route, qu’une course-poursuite s’était engagée pendant deux minutes et quarante secondes avec les policiers – jusqu’à 116 km/h ! –, et que cette voiture avait été aperçue tout au long de la nuit en train de commettre des infractions routières dans les rues des Hauts-de-Seine ainsi que sur l’A86.
C’est désormais la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris qui va examiner l’affaire. Cette semaine, les policiers ne se sont pas rassemblés symboliquement dans les commissariats à l’annonce de ce renvoi aux assises. Ils l’avaient pourtant fait en mars dernier, lors des réquisitions, similaires, du parquet de Nanterre. « Florian redoute qu’une mobilisation trop massive ait des conséquences contre-productives sur les décisions des juges », lâche un policier. En attendant, les forces de l’ordre se taisent. Avant de déposer les armes ?
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