Il y a des acteurs qui suivent un plan de carrière et d’autres qui traversent leur époque comme des comètes. Maurice Ronet (1927-1983) appartient à cette seconde catégorie. Dans La Piscine, Le Feu follet, Raphaël ou le Débauché ou bien La Montagne, il ne remplit pas un rôle, mais change un film par sa seule présence. Jamais tout à fait là, jamais tout à fait ailleurs, il est l’inquiétude à l’écran.
Redécouvrir Ronet aujourd’hui, c’est retrouver le parfum des Trente Glorieuses, un monde des possibles, des nuits longues et de la liberté. Une époque où l’on croisait Jeanne Moreau et Louis Malle dans des brasseries enfumées, où Jean Seberg lisait Proust dans un coin d’hôtel particulier, où Belmondo pouvait côtoyer Melville ou Chabrol.
Élégant et décalé
Nous retrouvons Jean-Pierre Montal, écrivain, cinéphile, chanteur du groupe Les Mercuriales et éditeur à ses heures, dans une brasserie parisienne. Entre deux digressions sur Leo McCarey et Alain Cavalier, l’auteur de La Face nord avoue une passion intacte pour Ronet depuis son plus jeune âge. Une fidélité élégante, d’esthète, la seule admiration de jeunesse qui ne l’a jamais quitté.
Il parle d’une « confrérie secrète » d’initiés : Pierre-Guillaume de Roux, qui fut son premier éditeur, et dont le père, Dominique de Roux, avait connu Ronet lors d’un tournage, Jean Le Gall, aujourd’hui éditeur au Cherche midi et chez Séguier. Tous partagent cette fascination pour une figure élégante et décalée, pour un acteur qui semblait toujours légèrement à côté, en marge, comme mal accordé au monde.
C’est justement Jean Le Gall qui est à l’origine de la réédition des Vies du feu follet, biographie que Montal avait consacrée à l’acteur en 2013, épuisée depuis plusieurs années. Il lui a aussi suggéré d’y adjoindre Le Métier de comédien, une série d’entretiens donnés en 1977 par Ronet à son ami et journaliste Hervé Le Boterf, introuvable également, où l’acteur, avec une rare franchise, s’interrogeait sur les paradoxes de son métier, ses exigences et ses zones d’ombre. L’idée était de composer un volume complet, capable de faire entendre deux voix qui se complètent : celle de l’admirateur qui s’efforce de percer le mystère, et celle de l’acteur qui en brouille les pistes.
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Une liberté folle
Dans Les Vies du feu follet, Montal mène l’enquête : une vingtaine de témoins, souvent contradictoires. Ronet, mystère ambulant, insaisissable, insatisfait chronique. Un fils unique trimballé dans les tournées de ses parents comédiens, solitaire parmi les adultes. Un homme de lecture – Schopenhauer, Melville, Proust, Conrad – qui cite Diderot et vénère Laurel et Hardy. Il disait : « Il n’y a rien de plus noble que le cinéma muet. » Il vivait dans des hôtels avec une valise, un smoking, un dégoût des objets. Il refusait les feuilletons américains. Il aurait pu jouer Lawrence d’Arabie ; il a préféré filmer des dragons à Komodo, en Indonésie. Aucune planification.
C’est peut-être pour cela que Maurice Ronet parle encore aux générations d’aujourd’hui. Parce qu’il ne donne aucune leçon
Dans Le Métier de comédien, Ronet se contredit, s’observe, se moque. Il dit : « Ce n’est pas un métier. » Pourtant, il pense le jeu, ses abîmes, ses limites. Il a tout lu et parle avec une profondeur d’essayiste. Le livre se prépare en cuisinant, un verre de vin à la main. Montal y voit un modèle : « Ce n’est pas le bavardage d’un acteur. C’est un livre sérieux, au bon sens du terme, sans esprit de sérieux. »
C’est peut-être pour cela que Maurice Ronet parle encore aux générations d’aujourd’hui. Parce qu’il ne donne aucune leçon. Parce qu’il incarne le doute avec panache. Dans Le Feu follet de Louis Malle, adapté du roman culte de Pierre Drieu la Rochelle, il est ce dandy au bord du vide, qui continue de faire s’interroger les âmes sensibles. Montal ne cherche pas à lever le mystère Ronet. Il l’approche, comme un roman. Il sait que le cinéma ne révèle pas tout, qu’il faut l’écriture pour explorer les interstices.
Alors on lit Le Métier de comédien avec lenteur, avec cette sensation étrange que quelque chose nous échappe et que c’est justement là que ça commence à nous parler. Maurice Ronet n’est pas un acteur du passé, c’est une énigme qui dure et qui n’a pas livré tous ses secrets. L’acteur sera resté fidèle toute sa vie à cette phrase d’Herman Melville qu’il aurait pu choisir pour exergue : « Je préférerais ne pas. » Il préférait ne pas trop dire. Il préférait inquiéter doucement. Et c’est pour cela qu’on y revient encore.

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