Le 47ᵉ président des États‑Unis, Donald Trump, semble hésiter à confirmer son engagement direct dans le conflit opposant l’État hébreu à la République islamique d’Iran. La semaine dernière, il espérait encore arracher un accord et ne souhaitait pas de riposte israélienne susceptible de le replonger dans le cauchemar interventionniste. Alors que l’armée israélienne multiplie les opérations contre des positions iraniennes en Syrie, au Liban et dans le Golfe, et que Benyamin Netanyahou affirme avec assurance que le soutien américain ne saurait tarder, la Maison‑Blanche reste muette. Une lenteur inhabituelle pour un président réputé impulsif et tranché. Derrière cette hésitation apparente se cache une réalité complexe, nourrie de considérations politiques, militaires et personnelles, qui place Trump dans une position délicate.
En tant que commandant en chef des armées, Donald Trump dispose du pouvoir constitutionnel d’engager ou non les forces américaines dans un conflit international. Mais une telle décision serait lourde de conséquences. Depuis le début de son nouveau mandat, il a affirmé vouloir faire de la diplomatie directe, du dialogue et de la désescalade les piliers de sa politique étrangère. Soutenir militairement Israël contre l’Iran représenterait donc une rupture significative avec cette doctrine. Le président serait contraint à une volte-face spectaculaire, en contradiction avec l’image du négociateur inflexible et pacificateur qu’il souhaite entretenir.
Depuis plusieurs mois, Trump constate que les dirigeants étrangers ne le suivent plus aussi aveuglément. Vladimir Poutine a pris ses distances depuis l’automne, et Benyamin Netanyahou, fort d’une majorité dure et militariste en Israël, semble vouloir définir sa propre feuille de route au Moyen-Orient. Frustré par ce qu’il considère comme la mollesse américaine au mois d’avril lors de frappes iraniennes sur le Golan, il multiplie aujourd’hui les démonstrations de force. En tergiversant, Trump apparaît affaibli : incapable de contrôler ses alliés, tout autant que d’imposer une ligne claire.
L’absence de consensus militaire clair freine toute initiative
Cette prudence s’explique aussi par la division au sein de son équipe de sécurité nationale. Pete Hegseth, secrétaire à la Défense issu des rangs de Fox News, défend une ligne non-interventionniste et nationaliste ; il s’oppose donc à une intervention directe. À l’inverse, Marco Rubio, secrétaire d’État, reste fidèle à Trump et pourrait soutenir une opération si le président en décidait ainsi. Mais l’absence de consensus militaire clair freine toute initiative : engager l’armée contre un adversaire aussi redoutable que l’Iran, sans un alignement complet des élites sécuritaires, serait risqué sur les plans politique et stratégique.
Depuis les guerres d’Irak et d’Afghanistan, Trump nourrit une obsession : éviter à tout prix de replonger l’Amérique dans des conflits interminables. L’idée d’une « guerre éclair » l’effraie plus qu’elle ne le séduit : il sait que ces promesses demeurent souvent chimériques et que le terrain moyen-oriental est piégé. Le souvenir de l’intervention en Syrie, et plus encore le fiasco du retrait afghan en 2021, pèse lourdement dans son esprit. Il ne veut pas d’un conflit dans lequel les États‑Unis s’enliseront pendant des années, compromettant ses ambitions politiques nationales.
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Trump hésite également sur la forme que pourrait prendre une éventuelle intervention. Doit‑il opter pour un soutien total à Israël jusqu’à une reddition iranienne ? Choisir une démonstration de force symbolique, comme le missile GBU‑57 que seul Washington possède et qui pourrait venir à bout (sans en être totalement sûr) du complexe nucléaire de Fordo, enfoui à 80 m de profondeur ? Ou bien se contenter d’un appui logistique via la flotte américaine dans le Golfe, récemment renforcée, avec mobilisation de bases à Bahreïn, au Koweït et au Qatar ? Chaque scénario présente des avantages, mais aussi des risques. Le moindre faux pas pourrait déclencher un embrasement régional difficile à maîtriser.
À un an des élections de mi‑mandat, Donald Trump ne peut ignorer l’opinion du bloc MAGA (« Make America Grea t Again »), farouchement opposé à toute nouvelle aventure militaire à l’étranger. Une guerre mal préparée, mal expliquée ou longue pourrait lui coûter des sièges à la Chambre ou au Sénat, voire raviver les fantômes de ses erreurs passées. La promesse de désengagement constitue un atout électoral majeur ; y renoncer pourrait fracturer sa base et profiter à ses rivaux républicains.
Trump sait que sa décision marquera un tournant dans son second mandat
Trump sait que sa décision marquera un tournant dans son second mandat. S’il choisit de soutenir pleinement Israël, il s’engagera dans une logique de guerre avec l’Iran dont les répercussions économiques, politiques et militaires sont imprévisibles. S’il refuse, il préservera sa ligne isolationniste, mais au prix d’un affaiblissement probable de la relation privilégiée entre les États‑Unis et Israël, un pilier historique de la politique américaine au Moyen‑Orient. La pause stratégique actuelle n’est donc pas une simple hésitation : c’est un véritable moment de bascule.
*Sébastien Boussois est docteur en sciences politiques, chercheur sur le monde arabe et la géopolitique, enseignant en relations internationales à l’IHECS (Bruxelles), associé au CNAM Paris (Équipe Sécurité Défense), à l’Institut d’Études de Géopolitique Appliquée (IEGA Paris), au Nordic Center for Conflict Transformation (NCCT Stockholm) et à l’Observatoire Géostratégique de Genève (Suisse).
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