Quoi de mieux qu’un quiproquo pour nouer une relation de théâtre ? Nous sommes en 2010 : Nicolas Rigas doit présenter L’École des femmes, sa nouvelle mise en scène, au Mois Molière. Il a été programmé par « Madame Lefèvre », comme tout le monde appelle la pièce maîtresse du festival, mais François de Mazières, le fondateur devenu maire de Versailles, ne le connaît pas encore… et voit rouge en apercevant un enfant sur scène, croyant à un spectacle amateur ! Pas du standing de la cour des Grandes écuries du château ! Mais cette présence enfantine n’était qu’un clin d’œil à l’histoire de la compagnie, le théâtre du Petit Monde, qui était à l’origine une troupe d’enfants… La pièce triomphe et le fâcheux devient complice ; trêve de malentendu, ils ne se quitteront plus.
Ils se retrouvent depuis chaque année au mois de juin : Le Malade imaginaire, Les Précieuses ridicules, éternel Molière bien sûr, mais aussi Le Barbier de Séville, Offenbach… À l’aise dans la comédie autant que dans le répertoire lyrique classique, acteur, chanteur, metteur en scène, Nicolas Rigas incarne bien toutes les facettes de ce festival de théâtre et de musique qui se déploie dans toute la ville et jusque dans les jardins du château.
La fidélité mutuelle a franchi un cap l’an dernier : il a mis en scène Le Géniteur, une « comédie sérieuse » de François de Mazières, sur la filiation, sujet sensible abordé avec délicatesse.
La troupe du théâtre du Petit Monde retrouve donc les Grandes écuries, un lieu unique, du théâtre de tréteaux dans un écrin de pureté classique, où déclinent les lumières chaudes des premiers soirs d’été. Et Nicolas Rigas s’en donne à cœur joie dans La Belle Hélène et les garçons, une création de Martin Loizillon, qui a transposé l’opéra-bouffe de Jacques Offenbach dans le tournage de… la 127e saison du feuilleton Hélène et les garçons ! L’an dernier, ils nous avaient déjà réjouis avec un Offenbach version medley allègre sur un livret à la Feydeau, et avec Le Médecin malgré lui, dans sa version opéra-comique de Gounod, déjà joué en 2022.
Le projet datait d’avant les années Covid qui, en rivalisant de farcesque, ont offert à la pièce une résonance stupéfiante : Molière avait dû regarder BFM… La voix de Sganarelle s’envolait pour vanter la médecine : « C’est la science, par excellence ! Un médecin est un devin ! », repris en chœur par ses crédules zélateurs, avec à la baguette et dans le rôle-titre, Nicolas Rigas déchaîné dans ce rôle de mari couard mais enhardi par le succès de son imposture…
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Son Arnolphe, barbon baladé dans L’École des femmes, agrémentée d’airs des Contes d’Hoffmann – encore Offenbach –, était déjà superbement grotesque… Le comédien s’empare de ces rôles de dindons de la farce avec un plaisir gourmand et palpable, d’une mimique digne de Mr Bean à une tirade impeccable, d’une trogne d’ahuri à un air d’opérette virtuose… À la Royal Academy of Dramatic Art, Nicolas Rigas a travaillé les ficelles du jeu « over the top, l’art d’en faire trop tout en étant juste… À la Louis de Funès, qui le faisait très bien, même s’il n’était pas du tout anglais ! » Il a plus appris à Londres qu’à l’école de la rue Blanche, car « pour le reste, j’avais tout appris chez Roland, absolument tout », confie-t-il. C’est Roland Gillain, qui lui soufflait : « Plus on est talentueux, plus il faut travailler ».
Artisan majeur du développement du théâtre du Petit Monde, fondé par Pierre Humble en 1919 et qui vit débuter Aznavour, Johnny, Colette Renard, il fut un père de théâtre, mais pas seulement : « Roland Gillain m’a presque élevé, raconte Nicolas. Mes parents étaient reconnaissants et avaient un respect immense pour ce monsieur extraordinaire. » Qui a fini par l’adopter aussi à l’état civil, avec l’accord de leurs familles respectives, pour pouvoir lui transmettre cette institution : « Dans ma famille d’extraction modeste, il était hors de question d’embrasser une carrière artistique, il fallait travailler tout de suite. C’est miraculeux ! »
« Dans ma famille d’extraction modeste, il était hors de question d’embrasser une carrière artistique »
Le fils prodige a réussi le Conservatoire national de chant en rentrant de Londres, avant de parfaire son apprentissage auprès du grand ténor Sergueï Larine, en échange d’une mission de coach de théâtre décrochée au culot. L’Opéra de Paris ne lui a pas – encore ? – ouvert la porte, un mystère peut-être teinté de sombres jalousies. En attendant, il déploie ses talents ailleurs, comme l’été dernier au New York City Opera, où il a chanté le baron Scarpia dans Tosca, de Puccini, « l’un des rôles emblématiques pour un baryton. Il y en a aussi chez Verdi, comme Rigoletto, et bien sûr chez Mozart, plutôt pour les barytons-basse… Mozart n’aimait pas les ténors, il ne leur a offert qu’un grand rôle, Don Ottavio, et c’est un con ! »
Il a son franc-parler, des convictions aussi affirmées que sa foi catholique assumée, « venue par le hasard auquel je ne crois pas », retrace-t-il. En reprenant les rênes, animé par la mission de perpétuer l’institution reçue, Nicolas Rigas a parfois dû délaisser l’opéra, mais Martin Loizillon, son fils – « excellent comédien, auteur, meneur de troupe… Il sait tout faire ! » est aujourd’hui arrivé à maturité : « Le théâtre du Petit Monde, c’est lui maintenant. » De quoi élargir, peut-être, à la mesure de sa tessiture, le petit monde du grand Nicolas.
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