En février 2019, la secrétaire d’État à l’Égalité Marlène Schiappa déclarait à Valeurs actuelles essayer de « mettre en place une Gay Pride à Ajaccio [mais qu’il n’était] pas sûr qu’on y arrive ». Tollé immédiat sur les réseaux sociaux, qui redoubla quand L’Opinion découvrit qui s’y opposait en Corse : rien de moins que la communauté homosexuelle locale, bien intégrée mais soucieuse de discrétion.
Aurore Foursy, présidente de l’Inter-LGBT, résume alors l’affaire à une « boutade » lancée quelques mois plus tôt lors d’une réunion à l’Élysée, et que Marlène Schiappa aurait prise au sérieux. Des appels à projet issus des préfectures montrent pourtant que le montage de Pride « gouvernementales » était déjà une politique délibérée de la Dilcrah, organisme antidiscrimination placé sous la direction de la secrétaire d’État. En 2018, ces appels à projet parlent pudiquement d’« événements LGBT+ de juin » ; en 2019, plus franchement de « participation à la Marche des fiertés » : ils sont lancés sur l’ensemble du territoire national.
Ces documents sont en accès libre mais, publiés par les services spécialisés des préfectures, leur diffusion reste limitée. La Dilcrah n’annonce jamais au grand public qu’elle subventionne des Gay Pride dans toute la France : elle admet par contre ponctuellement « aider » (en fait souvent « créer ») un défilé ou l’autre, sous le motif de « tirer les homosexuels locaux de leur solitude ». C’est oublier qu’une partie de ceux-ci ne se reconnaissent pas dans les Pride, jugées « stéréotypées », « trop communautaires », « hypersexualisées », « dépolitisées » (à gauche), « trop politisées » (à droite)… par plusieurs gays et lesbiennes dans une enquête de 2018 du Nouvel Obs. Pourquoi, alors, les imposer à des communautés LGBT+ réticentes, comme celle d’Ajaccio ?
Ces « Pride d’État » comptent parfois moins de 100 personnes
La première raison est administrative. La Dilcrah coordonne la politique antidiscrimination de l’État depuis Paris, mais délègue sa mise en œuvre en région aux préfectures, plus précisément aux Corahd : conseils régionaux réunissant préfet, délégué local Dilcrah, procureurs, direction régionale aux droits des femmes et à l’égalité (DRDFE) et échelon local des grandes administrations d’État (académies, agences régionales de santé). Ils planifient des interventions dans les écoles, des stages de « sensibilisation » des fonctionnaires… Des missions toujours assurées par des associations LGBT+ ou féministes.
Le gouvernement recommande donc par circulaire aux préfets de soigner ces « structures [associatives] soutenues de manière régulière par l’État ». Les Gay Pride sont un bon motif pour en créer là où elles manquent et soutenir les existantes. Dans Les Nouveaux Inquisiteurs (Albin Michel), un militant raconte à la journaliste Nora Bussigny comment la Dilcrah l’a poussée à demander des subventions pour une Marche des fiertés… pourtant annulée en raison du confinement. Après le lancement des premiers appels à projet, le nombre de défilés explose : il double de 2019 à 2022, et même de très minces chefs-lieux (Épernay, Périgueux…) ont la leur. Ces squelettiques « Pride d’État » comptent parfois moins de cent personnes : et encore, la poignée de militants LGBT+ locaux doit souvent appeler en renfort des syndicalistes CGT/CFDT pour faire figure. À Tarbes (Hautes-Pyrénées), ils sont même si peu nombreux que c’est un collectif féministe, Droit des femmes 65, qui doit gérer le cortège : une « Pride (presque) sans homosexuels », seule l’administration française pouvait l’inventer.
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S’installer dans les zones les plus conservatrices
L’autre raison est politique. Ces associations missionnées par l’État ne se gênent pas pour peser dans les élections municipales et législatives, faire campagne pour la GPA pourtant illégale en France… sur des fonds publics. Il aurait été simple de l’empêcher : obligation de neutralité inscrite dans les conventions associatives (comme pour la laïcité), « fléchage » des financements… Dilcrah et gouvernement s’en sont pourtant abstenus, alors même que le Conseil d’État dénonce les abus du « militantisme d’État » depuis 1991 et que plusieurs affaires judiciaires ont déjà eu lieu. Autant dire que tout débat démocratique sur les questions sociétales est biaisé par avance : le gouvernement soutient sans réserve le militantisme LGBT+ sur l’ensemble du territoire… et là où il n’existe pas, le crée ex nihilo.
Pas d’événement LGBT+, pas de crédit à la rénovation urbaine
Reste à l’installer dans les zones les plus conservatrices. Dès décembre 2016, la Dilcrah va se proposer d’augmenter la « visibilité LGBT+ » en « milieu rural » et « dans les quartiers de politique de ville », autrement dit les banlieues. On va voir soudain les maigres collectifs LGBT locaux organiser des Pride sans rapport avec leurs capacités techniques ou financières. Leur montage est en fait assuré par des militants parachutés des grandes associations parisiennes, dites pudiquement « partenaires » ; leur financement par les administrations (ARS, rectorats) siégeant aux Corahd ou directement par la Dilcrah via les préfectures. Celle-ci accentue sa pression sur les collectivités locales : elle donne par exemple consigne aux préfets de « veiller à ce que la question LGBT soit prise en compte […] par les actions conduites dans le cadre [des] contrats de ville ». Pas d’événement LGBT+, pas de crédit à la rénovation urbaine : ces nouvelles marches seront donc des « Pride forcées ».
Il y aura d’abord, en 2019, la Pride des banlieues. Fondée par cinq jeunes militants de l’association Saint-Denis Ville au cœur, son montage est en fait assuré par les « partenaires » SOS homophobie et Act Up. La Dilcrah recommandant de « s’adapter aux différents contextes territoriaux et sociaux », leurs communicants essayent d’associer les revendications LGBT+ à des questions locales. Homosexuels et trans défilent ainsi « contre le mal-logement », voire « la répression policière »… dans un cortège qui ne pourrait circuler sans lourde protection des forces de l’ordre. Les banlieusards n’y adhèrent pas : trois mille marcheurs revendiqués par l’association, à peine mille selon la presse, alors que la vibrante et engagée communauté LGBT+ parisienne n’est qu’à quelques stations de RER.

En 2022, ce seront les deux premières Pride des champs. L’une est montée à Chenevelles (Vienne), sur le papier par l’association Fiertés rurales fondée pour l’occasion, en réalité par une équipe parisienne de SOS homophobie. Le ton de la communication s’en ressent : il oscille là encore entre racolage des indigènes (on défile aussi « contre la désertification des campagnes » et on organise un « concours du plus beau tracteur ») et franc néocolonialisme urbain : « Rendre les campagnes attractives pour les LGBT+ » qui voudraient s’y installer. Les ruraux ne s’y laissent pas prendre : à peine 500 marcheurs, certains amenés dans des bus prêtés par l’association LGBT+ de la SNCF « Gare ! ». De gros moyens étaient pourtant déployés : concerts, drag shows, ministres et célébrités invités… Le candidat de téléréalité gay Mathieu Ceshin s’émerveille naïvement d’un « engouement incroyable des pouvoirs publics » et d’un préfet « complètement favorable à l’événement ». L’autre Pride des champs est montée à Mende (Lozère), officiellement par le collectif local TaPaGe, en réalité par les « partenaires » Planning familial et Enipse (association LGBT+ des Agences de santé régionales). Les moyens employés, plus modestes, restent démesurés pour une ville de 12 000 habitants (une dizaine d’artistes invités, des drag-queens, etc.), mais n’attireront là encore que 300 marcheurs.
Reste enfin la Pride de Corse, dont le montage, cauchemardesque, prendra quatre ans. D’abord, l’indiscrétion de Marlène Schiappa a alerté les insulaires, que cette ingérence culturelle continentale (« a francisata ») indigne. Aucune association écran sur place : les militants parachutés devront créer la leur (L’Arcu) et prétendre représenter la « société civile locale ». Dans une île où tout le monde se connaît, on saura pourtant très vite qu’ils parlent depuis Paris. Bien que d’origine corse, ils vont cumuler les impairs : attaquer l’identité locale trop « virile », accuser à tort un village entier de ratonnade « homophobe », tenter de « canceller » une universitaire corse opposée à la GPA, etc. Essayer, là encore, de racoler les locaux, en affirmant « lutter contre les préjugés anti-Corses », sans jamais expliquer lesquels ni comment. De l’aveu même de sa seconde présidente, Livia Casalonga, L’Arcu n’aura jamais plus d’une dizaine de membres actifs. La première Pride de Corse, tenue finalement à Bastia en juin 2023, attirera à peine 200 marcheurs et n’aura presque aucun soutien de la classe politique locale.
Faire croire que l’idéologie LGBT+ a triomphé partout
Que le public boude l’événement est secondaire pour la Dilcrah : l’essentiel est d’avoir une association à installer dans le paysage administratif local, qui agira sur le temps long. Et on peut toujours compter sur les grands médias pour transformer ces faméliques défilés en succès populaires. Des dizaines d’articles clament que « les agriculteurs soutiennent les LGBT+ » (L’Humanité), que le rejet de l’homosexualité en banlieue est un préjugé « classiste et raciste » (20 Minutes), qu’enfin « les Gay Pride ont essaimé dans toute la France » (Le Monde)… sans jamais révéler que c’est un engouement largement artificiel et payé avec les impôts des Français.
On voit là se dessiner l’autre but de ces « Pride forcées » : faire croire que l’idéologie LGBT+ a triomphé partout pour démobiliser les conservateurs. C’est le leitmotiv des militants depuis le Mariage pour tous : « Changez, abrutis », écrit Têtu, la « majorité de la population nous soutient [désormais] », en France et dans le monde entier. La Dilcrah n’hésite pas à les appuyer par des sondages dont les chiffres laissent songeur : 43 % des Turcs en faveur des passeports non binaires, par exemple, selon un sondage Ipsos de 2024. On comprend alors l’urgence de forcer la tenue d’une Pride en Corse, île où, contrairement à ce que décrit Marlène Schiappa, les agressions d’homosexuels sont rares, mais qui passe pour un bastion des valeurs traditionnelles : c’est là aussi offrir une grande victoire symbolique au militantisme LGBT+.
Passé le premier défilé, le sort des « Pride forcées » est très variable. D’abord, sans base locale, elles dépendent entièrement des soutiens extérieurs : qu’ils se retirent et elles s’effondrent. La Pride des champs de Chenevelles, fréquentée par des ministres, voit ses financements maintenus et bénéficie même d’un documentaire (subventionné) à sa gloire. Sa fréquentation augmente, même si elle est bien moindre que prévu : 1 500 marcheurs présents (selon les organisateurs) pour 4 000 attendus en 2024.
Les militants sont des wokes si radicaux qu’ils se tolèrent à peine
À rebours, celle de Mende, délaissée par le Planning familial et l’Enipse, abandonnée à un collectif local au budget plus restreint, voit sa fréquentation divisée par trois en 2024, puis disparaît en 2025. Les quelques tentatives d’essaimage (Saint-Martin-en-Haut et Tardets-Sorholus en 2023, Tarare en 2024, Saint-Laurent en 2025…), dépourvues d’animations à gros budget, ont peu intéressé les locaux : parfois moins de 50 marcheurs. Les chiffres annoncés sont d’ailleurs à prendre avec précaution : à la Pride des banlieues 2024, Le Parisien voit « quelques centaines » de personnes, les organisateurs 15 000.
Surtout, l’opacité règne. Interrogées par le JDD, associations et préfectures ont systématiquement refusé de nous renseigner sur le financement des « Pride forcées » : on nous répond même parfois avoir besoin d’« instructions préfectorales » pour communiquer les résultats d’appels à projet, conventions associatives trisannuelles… pourtant publics. Ce soutien ne s’est pas limité à aider les associations : peu avant l’annonce du projet d’une Pride à Ajaccio, on observe une vague de productions culturelles LGBT+ mettant en scène des Corses (la pièce de théâtre Main dans la main, la série Back to Corsica, le film Viril.e.s), certaines subventionnées directement par la Dilcrah, d’autres par des conventions passées entre services culturels des préfectures (Drac) et la collectivité de Corse.
Enfin, les associations porteuses sont instables : recrutés dans des milieux LGBT+ parisiens à la pointe de l’idéologie, les militants parachutés sont des wokes si radicaux qu’ils se tolèrent à peine les uns les autres. En avril 2023, le collectif de la Pride des banlieues explose : une des « femmes trans » organisatrices réclame le départ du président, certes compétent, mais… hétérosexuel, et qui aurait donc dû être « relégué à la comptabilité et autres tâches rébarbatives » (sic) comme ses semblables.
Manifester contre « le fascisme à nos portes »
Le montage de la Pride de Corse va lui aussi souffrir des querelles intestines d’un bureau associatif à la fois très radical (ex-dirigeants d’Act Up, de l’Inter-LGBT+…) et peu présent sur l’île, sauf pour les vacances. L’antenne locale de l’association LGBT+ Enipse, plus tard renommée « C3S », devra assurer le gros du travail militant (centre LGBT+ mobile, spectacles de drag-queens) sur les fonds de l’Agence régionale de santé de Corse… alors même que les hôpitaux de l’île sont dans un état critique, faute de financement.
Cela n’empêchera pas la seconde Pride de Corse d’être un désastre : 150 marcheurs avoués en juin 2024, en fait plutôt 100, alors même que le défilé était commun avec celui de plusieurs associations antiracistes et partis de gauche. Et pour cause, le Rassemblement national menaçait d’emporter les législatives : la plupart des Gay Pride se sont alors converties en marches « contre le fascisme à nos portes » très suivies, tenues parfois à quelques jours du scrutin. La Pride des banlieues va jusqu’à appeler à « soutenir le Nouveau Front populaire » dans un communiqué.
Préfectures et collectivités locales ont donc financé des manifestations contre le principal parti d’opposition au gouvernement en pleine période électorale : si cela a été fait à leur insu, on n’a vu aucun préfet protester, encore moins rompre les conventions signées avec les associations concernées. Le militantisme LGBT+ de province, créé de toutes pièces par le macronisme sous prétexte de « lutte contre les discriminations », se montre à l’occasion bien utile.
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