En février 2023, un étrange vaisseau blanc traverse le ciel de l’Alaska. Il ne tonne pas, ne rugit pas, ne bombarde rien : il flotte. Ce ballon chinois, équipé d’une hélice, se laisse porter par les vents vers l’est des États-Unis. Derrière son allure inoffensive se cache un équipement suspecté d’espionnage. Abattu au large de la Caroline du Sud, ce ballon n’était pas seul : d’autres, semblables, survolaient au même moment des territoires en Asie et en Europe. L’affaire a ravivé une inquiétude stratégique ancienne mais souvent négligée : qui contrôle les hauteurs du ciel ?
Cet épisode, digne des premiers chapitres de Jules Verne ou des veilles angoissées de la Guerre froide, a révélé au grand public une zone d’ombre : l’espace situé entre 20 et 100 kilomètres d’altitude. Ni ciel aéronautique, ni orbite spatiale, cette « très haute altitude » échappe encore aux conventions internationales. Elle est une terra incognita des temps modernes, où la technique précède le droit, et où l’initiative appartient à ceux qui osent — ou s’y préparent.
« Que fait-on, nous Français, entre 20 et 100 kilomètres ? »
C’est là que s’inscrit, avec lucidité, la stratégie française dévoilée par le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, le 17 juin 2025, lors du Salon international de l’aéronautique et de l’espace. Avec une question aussi simple que fondamentale pour notre défense — « Que fait-on, nous Français, entre 20 et 100 kilomètres ? » — il ouvre un chantier stratégique essentiel : reprendre la maîtrise de notre ciel, jusque dans ses confins les plus élevés.
Nouvelles technologies
Car les puissances n’attendent pas. La Russie et la Chine se targuent déjà de détenir des missiles hypersoniques, capables de frapper à des vitesses et des altitudes inaccessibles aux systèmes traditionnels. Les États-Unis, longtemps en retard, ont annoncé en mars 2024 la fin des essais de l’AGM-183A, conçu par Lockheed Martin. Et la France ? Elle n’est pas en reste : dès 2023, le planeur hypervéloce VMaX a été testé depuis Biscarrosse, confirmant notre capacité à rivaliser dans l’arène des vitesses extrêmes.
Mais détecter, intercepter, neutraliser dans cette zone floue suppose un arsenal repensé. Aux radars classiques s’ajoutent désormais des systèmes à ultra haute fréquence, ainsi que des satellites dédiés à la surveillance de la THA. Les avions de chasse et leurs effecteurs seront renforcés pour contrer des menaces mouvantes, rapides, souvent imprévisibles. Le recours à des technologies encore balbutiantes — comme les lasers de surface développés dans le cadre du programme Syderal — montre l’ambition d’une défense tournée vers l’avenir.
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Une question de souveraineté
Il ne s’agit pas seulement de technique. Il s’agit de souveraineté. Comme Richelieu traçait au XVIIe siècle la géographie d’une puissance navale capable de défendre ses ports, ou comme De Gaulle affirmait au XXe siècle l’indépendance nucléaire de la France, il est désormais temps de poser les bases d’une stratégie aérienne qui anticipe les rapports de force de demain. Le ministre des Armées renforce les moyens de l’État dans son rôle de protecteur du ciel — là même où les puissances du monde testent déjà leurs audaces.
Face à ce monde redevenu dangereux, la France ne peut rester spectatrice
En mer de Chine méridionale, les tensions se crispent entre Pékin et ses voisins, tandis qu’au Proche-Orient, les missiles échangés entre l’Iran et Israël annoncent une instabilité durable. Aux portes de l’Europe, la guerre en Ukraine rappelle que l’histoire n’a jamais déserté le continent. Partout, ce que l’on avait cru relégué aux manuels d’histoire — les affrontements entre États, la course aux armements, les logiques de puissance — réapparaît avec une intensité nouvelle.
Une France en action
Face à ce monde redevenu dangereux, la France ne peut rester spectatrice. Le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, a eu raison de le rappeler : depuis 2018, notre pays réarme. Contrairement à ses prédécesseurs, Emmanuel Macron a choisi d’augmenter régulièrement le budget militaire. Cet effort n’est pas seulement comptable, il est stratégique : il vise à faire de la France un acteur de premier plan dans la défense du continent, surtout à l’heure où les États-Unis annoncent en substance leur désengagement progressif du théâtre européen.
La France a vocation à devenir le fer de lance d’une défense européenne
Et la France a des atouts. Elle dispose d’une base industrielle et technologique de défense enviée dans toute l’Europe, capable d’anticiper les menaces de demain et d’innover dans les domaines les plus critiques. Dans ce contexte, elle a vocation à devenir le fer de lance d’une défense européenne, en mesure de garantir, avec le soutien des autres États, la sécurité du continent.
La stratégie de la très haute altitude n’est donc pas une simple déclaration d’intention. Elle est une réponse cohérente et déterminée à la mutation géopolitique du réel. Elle incarne le retour d’un État protecteur, conscient que la souveraineté ne s’exerce plus seulement sur nos sols, mais se joue aussi là-haut, dans cette haute altitude où se dessinent déjà les équilibres — ou les affrontements — de demain.
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